Jeûner ou ne pas jeûner pendant le ramadan ? Et le fait-on par conviction personnelle, par respect de la tradition ou sous la pression de sa famille, voire de la communauté ? Telles sont les questions qui reviennent à l’avant-plan en Tunisie, alors que le mois du jeûne musulman a débuté depuis à peine une semaine.
Ces questions se posent avec d’autant plus d’acuité qu’un prédicateur connu s’est mis en tête de faire la chasse au “fattaras”, ces musulmans qui ne respectent la tradition du jeûne, un des cinq piliers de l’islam. Adel Elmi, qui a fait de la caméra filme les “contrevenants” à cette pratique, qu’il prend le temps de repérer puis diffuse les images sur les réseaux sociaux afin de jeter l’opprobre sur eux. Son zèle va jusqu’à pareillement dénoncer les restaurateurs, patrons de fast-food et de cafés qui restent ouverts durant les horaires du ramadan. Généralement, ces établissements le font en toute discrétion, veillant à apposer des journaux sur leurs vitres afin de préserver l’intimité des clients qui ont fait le choix de ne pas respecter le jeûne.
Une entrave aux libertés individuelles
Faire le ramadan n’est pas une obligation en Tunisie. Cela reste un choix, qui cristallise toutefois une opposition entre les tenants de la tradition et les esprits libres qui veut s’en dégager. Ces derniers tentent de mettre en avant le droit de choisir, dicté par la liberté de conscience de chacun. C’est à ce titre que l’Association tunisienne de soutien aux minorités (ATSM) a décidé cette semaine de porter plainte contre Adel Elmi, sur base de l’article 6 de Constitution, qui stipule que l’Etat protège la liberté de croyance, de conscience et l’exercice des cultes.
Yasmina Thabet, la présidente de l’ATSM, part du principe que faire la chasse aux non-jeûneurs constitue un grave entrave aux libertés individuelles. Il existe une pression des islamistes dans le pays, surtout que la légitimité du chasseur de non-jeûneur est sujette à caution. Selon le journal “Kapitalis”, cet “ancien marchand de légumes qui joue au prédicateur religieux” s’est donné pour mission en 2013 de débusquer les “fattaras” durant chaque ramadan.
La justice s’en mêle aussi
Si les agissements de cet imam restent assez isolés, la justice poursuit aussi certains musulmans qui ne font pas le ramadan. Le tribunal de Bizerte (nord) a condamné jeudi, à un mois de prison, quatre jeunes gens qui avaient mangé (et fumé) en public en tout début de ramadan. Les quatre hommes “ont choisi un jardin public pour manger et fumer, un acte provocateur durant le mois de ramadan […]. De ce fait, le tribunal cantonal de Bizerte les a condamnés à un mois de prison”, a déclaré Chokri Lahmar, le porte-parole du Parquet de cette ville située à une cinquantaine de kilomètres au nord de Tunis. “S’ils ont choisi de ne pas jeûner, ils n’avaient qu’à manger dans un autre endroit à l’abri des regards et ne pas tenter de semer la haine entre les gens”, a-t-il encore dit à l’agence France-Presse. Et d’ajouter que leur peine sera appliquée s’ils n’interjettent pas appel dans les dix jours. Et il est très probable qu’en prison, ils soient soumis au ramadan contre leur gré.