La grande peur des réfugiés burundais en Tanzanie

La grande peur des réfugiés burundais en Tanzanie

Par Marie-France Cros

À la suite d’un accord bilatéral signé fin août entre le Burundi et la Tanzanie, les 183 .000 réfugiés burundais de Tanzanie devraient être rapatriés à raison de 2000 par semaine à partir du 1er octobre. De force, craint-on.

En effet, lors de sa visite en Tanzanie les 23 et 24 août, le ministre burundais de l’Intérieur, Pascal Barandagiye, a donné aux réfugiés jusqu’au 1er octobre pour se faire enregistrer comme volontaires au retour, faute de quoi “des mesures adéquates seront prises”.

Justice for Burundi, un collectif d’avocats – dont les Belges Bernard Maingain et Alain Detheux, le Français Lef Forster et les Burundais Armel Niyongere et Lambert Nigarura – défendant des réfugiés ainsi menacés, dénonce dans ce projet de refoulement une violation de la Convention de Genève de 1951 par Dar es Salam. Chaque État partie à cette Convention sur la protection des réfugiés, “a la responsabilité de veiller à (son) respect” et peut “saisir la Cour internationale de Justice”, rappelle le collectif.

https://afrique.lalibre.be/40354/burundi-rapatrier-les-200-000-refugies-de-tanzanie-danger/

Déguiser l’image du régime

Un accord précédent, incluant aussi le Haut commissariat aux Réfugiés de l’Onu (HCR) – qui insiste pour que seuls les retours vraiment volontaires soient enregistrés et organisés – a permis le retour de 71. 000 Burundais de Tanzanie dans leur pays. Désireux d’accélérer le mouvement pour que le régime de Pierre Nkurunziza puisse se présenter sous un meilleur jour à la présidentielle de 2020, le ministre burundais de l’Intérieur a accusé le HCR de “traîner les pieds dans l’enregistrement de ceux qui veulent retourner au pays” parce que “si les réfugiés rentrent tous, ils (les agents du HCR) n’auront plus de travail”.

Le HCR-Tanzanie a, pour sa part, relevé que “la capacité d’accueil du gouvernement burundais est insuffisante”.

Si la Tanzanie a une histoire remarquable d’accueil des réfugiés des pays voisins depuis des décennies, sa position s’est durcie ces dernières années, en particulier depuis l’arrivée au pouvoir du président John Magufuli, considéré comme un autocrate.

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Les “retournés” vus comme des opposants

S’agissant du Burundi, les informations du terrain recueillies par La Libre Afrique.be montrent que les réfugiés rentrés volontairement connaissent des conditions de vie difficiles. Ils reçoivent moins d’aide que les précédentes vagues de « retournés ».

D’une part parce que Bujumbura manque de moyens : la crise politique créée par la volonté de Pierre Nkurunziza de se présenter en 2015 à un troisième mandat interdit par l’Accord de paix d’Arusha, a entraîné une crise économique très grave. D’autre part, parce que les réfugiés de 2015 rentrés au pays sont considérés comme des opposants puisqu’ils ont fui les violences déchaînées par les autorités et la milice du parti présidentiel, les Imbonerakure, contre leurs contradicteurs réels ou supposés.

Selon les informations remontant du terrain, une grande corruption règne au Burundi dans l’attribution de l’aide aux “retournés”. Or, selon un rapport du HCR, les 71.000 rapatriés volontaires sont à 60 % sans maison et à 23 % sans terres. Dans ces conditions de vulnérabilité, le retour de 183.000 réfugiés accroîtrait la rareté des ressources, donc les tensions.

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Pressions tanzaniennes

La crise créée par le président Nkurunziza en avril 2015 a fait fuir jusqu’à 430.000 Burundais, sur une population de 11 millions d’habitants ; c’est la Tanzanie qui en accueille le plus grand nombre. Les réfugiés sont aidés par le HCR mais, selon celui-ci, ceux venant du Burundi sont les plus mal financés au monde ; les conditions dans les camps sont donc plus difficiles pour eux que pour les autres réfugiés.

La Tanzanie fait pression pour les pousser à regagner le Burundi, interdisant dans les camps toutes les activités commerciales (qui aident à compléter la ration – spartiate, faute de moyens – du HCR), de travailler pour des Tanzaniens et même de sortir des camps. Selon la principale plateforme de la société civile burundaise, le FORSC, la police tanzanienne rattrape les réfugiés burundais qui quittent leur camp pour tenter de gagner un autre pays d’asile et leur laisse le choix entre le rapatriement au Burundi et l’enfermement dans le camp tanzanien.

Pendant ce temps, l’afflux de Burundais continue vers les pays voisins; ainsi en Ouganda, 850 ont été enregistrés en juillet, soit une hausse de 121 % par rapport à juin ; au Congo, il y a 1200 nouveaux enregistrés dans deux camps du Sud-Kivu. C’est qu’un climat de « terreur » règne au Burundi, a dénoncé le 4 septembre une commission d’enquête de l’Onu, ajoutant que les violences s’accroissent en vue des élections de 2020, en particulier envers les partisans du parti d’opposition CNL (ex-FNL) d’Agathon Rwasa.

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