Quand il était petit, Sylvestre n’avait pas eu dix francs pour aller jouer à la balançoire, au centre pour jeunes, près de chez lui… Les histoires qui nous arrivent quand on est petit sont celles qui nous forgent à vie. Et n’allez pas croire, en écoutant cette histoire, que Sylvestre Dossa soit à plaindre de quoi que soit. Car il fait partie des hommes qui comptent à Comé, cette ville de 80 000 habitants située à 60 kilomètres à l’ouest de Cotonou. C’est lui le directeur de ce centre culturel joliment nommé “Carrefour jeunesse” – un centre qu’il a fait sortir de terre, avec la détermination de quelqu’un qui veut une plaine de jeux, mais pour tout le monde. Ce que lui reconnaît la communauté.
Toute la culture à la jeunesse pour 1000 francs CFA
Son “Carrefour Jeunesse” – car il en est l’incarnation – ouvre ses portes à toute la jeunesse de Comé. Et toute la jeunesse, c’est beaucoup : 75 % de la population, ici, a moins de 25 ans. Et autant dire que personne ne se fait prier pour venir. On y entre avec facilité, pour faire du rap ou du dessin. D’autant que le droit d’entrée pour toutes les activités n’est pas trop onéreux. Pas les 10 francs du début de l’histoire, “c’est 1 000 francs CFA par an, pour tout ce qu’on veut. Et pour ceux qui n’ont pas les mille francs, on s’arrange”. Sylvestre est du genre à ne pas chômer. Il a la trentaine et a longtemps eu un boulot d’expert très sérieux pour le gouvernement béninois. Il rapportait l’état de développement de son pays en le sillonnant. Un boulot qui ravissait sa maman. Et puis, un jour, il s’est rappelé de l’histoire de la balançoire sans doute, et il est venu ici, à Comé, d’abord enseigner puis ouvrir, au fur et à mesure, des structures culturelles et sportives pour les jeunes. Désormais, Carrefour Jeunesse touche environ 22000 jeunes par an, toutes activités confondues.
Ici, on vous propose des rencontres interculturelles
C’est dans ce contexte qu’Africapsud pose ses valises d’interculturalité à Comé, en collaboration avec Carrefour Jeunesse. Africapsud (sous l’égide de l’Aide en Milieu Ouvert La Chaloupe) propose chaque année à des jeunes belges de partir en voyage d’échanges culturels. “Move With Africa” est l’un de ses projets, qui emportait avec lui, durant les vacances d’avril dernier, dix jeunes gens des Ursulines et de la Madeleine, l’ULM de Tournai.
La coopération en Afrique, telle qu’elle existait il y a encore quelques années, a manifestement changé de visage. Il y a quelques années, on faisait partir des jeunes pour pratiquer de l’aide au développement. Pierre Cantraine, grand gaillard dynamique et franc, responsable du projet Africapsud, fait ce récit de jeunes partis aider à la culture de l’arachide. “Mais voilà, le voyage était fonction des vacances scolaires belges, et non pas du calendrier du paysan béninois dont le travail de la terre prenait du retard en attendant les jeunes qui devaient “l’aider”. Un dysfonctionnement souvent observé dans les projets de coopération qui a poussé Africapsud à repenser sa philosophie. “Nous ne sommes pas là pour sauver l’Afrique comme certains pourraient le penser, mais plus pour créer l’échange et la rencontre, pour casser les stéréotypes et les préjugés”, poursuit Pierre.
Depuis 2010, Africapsud travaille donc au Bénin, dans les murs de Carrefour Jeunesse. Pierre et Sylvestre, entre temps, sont devenus amis et gèrent de concert les rencontres entre Belges et Béninois.
Parle moi de toi, pour que je comprenne
Mais pour l’heure, en ce vendredi 7 avril, c’est sous l’oeil bienveillant de François, prof de théâtre à l’ULM, que les Béninois et nos dix Belges préférés travailleront à l’art de l’impro. Et les correspondants des jeunes belges ne se font pas prier, tant on sent leur envie de s’exprimer sur scène. Certains font déjà du théâtre dans les murs avec le – toujours très élégant – professeur d’art dramatique de Carrefour Jeunesse, Ebenizer. Justin, lui, est comédien dans l’âme, et puis, il y a Fassilath, la correspondante de Manon, qui joue d’ailleurs une Elena Ivanovna Popova hypnotisante dans la pièce de Tchekhov, “L’Ours”, qui se donne bientôt dans les murs de Carrefour Jeunesse.
L’exercice d’impro auquel on assiste porte les jeunes gens à se raconter eux-mêmes, face à l’Autre. Dans l’altérité des duos organisés, où il faut qu’un Belge et un Béninois miment une scène de dispute, on entend parfois l’incompréhension. Les problématiques de la jeunesse béninoise tournent autour de la famille, la manière dont on la nourrit, dont on la protège. Les jeunes Belges sont plus portés à parler de leurs études, de leur rapport conflictuel à leurs parents.… Et si parfois la conversation a l’air d’un dialogue de sourds entre une culture et l’autre, on s’étonne des chemins que les jeunes trouvent pour mimer la réconciliation.
Les deux cultures finissent par se rejoindre dans le mime d’une scène de fête, ou de secours à autrui – l’humain prend le pas sur le culturel. Et il n’y a que la scène de pluie qui tombe sur leurs têtes pour les distinguer le plus. Celle qui tombe sur les Béninois les ravit. La même pluie fait ronchonner les Belges, qui ne veulent plus quitter le ciel de Comé.