Par Marie-France Cros
L’Asadho (Association africaine de défense des droits de l’homme), a appelé jeudi le président Félix Tshisekedi à « tenir totalement sa promesse de décrispation politique en faisant aussi libérer tous les prisonniers amnistiés du dossier d’assassinat de Laurent Désiré Kabila » (LDK), ancien chef de l’Etat congolais et père de Joseph Kabila. Ces détenus sont connus sous le nom de « Eddy Kapend et consorts ». La Libre Afrique.be est retournée dans ses archives pour rappeler l’affaire.
L’Asadho souligne que le procès contre « Kapend et consorts », conduit par la Cour d’Ordre militaire (COM), avait été « marqué par la violation de toutes les garanties constitutionnelles » et qu’il était « inéquitable » au regard des standards internationaux.
Juridiction d’exception
La Cour d’Ordre militaire avait été créée par un décret de Laurent Kabila le 27 mai 1997, peu après son arrivée au pouvoir grâce au renversement de Mobutu. Les associations de défense des droits de l’homme avaient rapidement crié « au feu » en raison des abus manifestes commis par cette Cour, qui rappelait la « justice » rendue par Laurent Kabila à l’époque de son maquis d’Hewa Bora: des « cours d’ordre militaire » y condamnaient de nombreux maquisards à mort pour « trahison » ou « sorcellerie » (voir le livre de Wilungula Cosma, « Fizi 1967-1986, le maquis de Kabila »); LDK approuvait ou rejetait le verdict.
La COM de 1997 a fait parler d’elle dès son premier procès, en 1998, contre des opposants et présumés opposants à Laurent Kabila. Car elle était compétente non seulement pour juger les militaires, mais aussi pour tout individu commettant une infraction à main armée; un élément d’inconstitutionnalité sur lequel la Cour suprême n’avait pas été amenée à se prononcer. Les jugements de la COM ne connaissaient ni appel, ni recours – seulement la grâce présidentielle, comme dans le maquis.
Après sa première année d’existence, 68 personnes avaient été exécutées sur son ordre. Lors des réquisitoires, bien souvent les peines proposées ne correspondaient pas aux faits. Des pièces à conviction parvenaient de manière irrégulière au tribunal. Les procédures n’étaient pas respectées.
Le procès ouvre en 2002
C’est cette juridiction qui a jugé, à partir de mars 2002, les assassins du président Laurent Kabila, tué dans son bureau le 17 janvier 2001. Le procès fut entamé contre 115 prévenus (dont 15 en fuite), qui seront bientôt 130. Parmi ceux-ci figuraient des épouses de suspects, emprisonnées à la place de leurs maris en fuite – et détenues dans les mêmes cellules que les accusés hommes.
Le procès eut lieu à huis clos et le président de la Cour avait été nommé par Joseph Kabila – qui avait succédé à son père en dehors de toute légalité – à la veille de l’ouverture des débats. Presque tous les accusés avaient été torturés, selon l’association d’avocats « Les Toges noires » (mutilation, torture à l’électricité, etc…)
Cousin de LDK, rival de Joseph Kabila
Le principal accusé était le cousin de Laurent Kabila, Eddy Kapend Irung. Ce dernier avait été nommé chef d’Etat-major en octobre 1998, au début de la rébellion armée contre Laurent Kabila, en remplacement de Joseph Kabila; tant Kapend que Joseph Kabila avaient une formation militaire des plus réduites. Quelques mois plus tard, Kapend deviendra aide de camp du chef de l’Etat, poste qu’il occupait lors de l’assassinat de celui-ci.
Eddy Kapend sera arrêté deux mois après le meurtre. Lors des premières audiences, il avait accusé l’entourage du procureur de la COM – le terrible colonel Charles Alamba (condamné à mort en 2004 pour avoir commandité un assassinat et qui est mort en détention en 2017) – d’être à l’origine de l’assassinat de Laurent Kabila. Alamba est en effet considéré comme celui qui a fait exécuter, en novembre 2000, Anselme Masasu, co-fondateur de l’AFDL avec Laurent Kabila et rival de ce dernier auprès des « kadogos », ces enfants soldats qui avaient accompagné la marche contre Mobutu.
C’est un de ces « kagogos », Rachidi Mizele, qui a abattu le Président, selon les témoins. Il est mort juste après. Selon l’accusation, abattu par Kapend pour le faire taire sur ceux qui auraient ourdi l’assassinat; selon Kapend, il se serait suicidé juste après le meurtre.
Aucune expertise balistique n’avait été menée pour vérifier de quelle arme étaient sorties les balles qui avaient tué le chef de l’Etat. On sait seulement qu’elles provenaient d’une arme du type de celui utilisé par la garde rapprochée de Laurent Kabila.
30 peines de mort
A l’ouverture du procès, le 15 mars 2002, la moitié des accusés sont des civils, bien que Joseph Kabila eut promis, dans son discours d’investiture, fin janvier 2001, que la COM ne jugerait désormais plus que des militaires. Et les avocats n’ont eu accès à leurs clients que dans la salle d’audience, ce jour-là; plusieurs d’entre eux ont été menacés de mort et l’un d’eux, au moins, battu. Le parquet a parfois délivré des mandats d’arrêt contre des personnes à propos desquelles il n’avait retenu aucun grief – comme Emile Mota, témoin du meurtre.
Le procureur requerra 115 peines de mort contre les 130 prévenus, malgré l’absence de preuves, soulignée par les avocats. En janvier 2003, ce sont 30 condamnations à mort qui seront prononcées et 48 libérations; les autres accusés sont condamnés à des peines diverses. Comme la peine de mort vient d’être suspendue, les condamnés resteront en prison, jusqu’à aujourd’hui.
Les amnisties jamais exécutées
Selon le document rédigé jeudi par l’Asadho, ces condamnés avaient pourtant été amnistiés le 19 décembre 2005; sans effet. En novembre 2013, la Commission africaine des Droits de l’Homme et des Peuples avait recommandé leur libération; sans effet. En décembre 2016, l’Accord de la Saint-Sylvestre les avait identifiés comme pouvant être libérés au titre de la décrispation politique; sans effet. Et lors de la libération des prisonniers politiques décidées par Félix Tshisekedi, en mars 2019, ils n’ont pas fait partie des libérés.
« L’injustice » à leur égard « est flagrante et incompréhensible« , écrit l’Asadho, qui parle de « discrimination ».