Compensations pour génocide: les Hereros de Namibie vont en appel

Compensations pour génocide: les Hereros de Namibie vont en appel

Par Marie-France Cros

Depuis 2001, les descendants directs des chefs hereros et namas victimes du génocide de 1904-1908 par l’Etat allemand (reconnu en 1985 par les Nations unies) essaient d’obtenir des compensations, comme en ont obtenu les Juifs et les Tziganes pour les génocides du milieu du siècle dernier.  En vain jusqu’ici, comme le montre un jugement à New York, jeudi.

L’Allemagne officielle a du mal à admettre la filiation entre les génocides dont elle s’est rendue coupable au XXe siècle, même si des chercheurs apportent de l’eau à ce moulin. Le grand public retiendra que le Dr Eugen Fischer, qui avait “étudié” les Hereros et les Namas et s’opposait au métissage, fut le mentor du terrible Dr Mengele. Ou que le Dr Heinrich Göring – père du nazi Hermann Göring – fut nommé gouverneur du Sud-Ouest africain (ancien nom de la Namibie) par Bismarck en 1885.

Fermement convaincu de l’inégalité des “races”, ce Göring-là saoûle un chef Herero pour lui faire signer, d’une croix, un traité rédigé en allemand et livrant sa terre au Reich. Ce sera moins facile avec le chef des Namas, Hendrik Witbooi, qui a appris à lire et écrire avec un pasteur belge (1) et lit régulièrement la presse du Cap et de Londres.

Révolte et représailles génocidaires

Après une déterioration progressive des relations entre autochtones et Allemands, les Hereros se soulèvent en janvier 1904 contre l’envahisseur qui leur prend terres et bétail; ils tuent 200 colons. Les représailles, menées par le général Lothar von Trotta seront terribles: après sa victoire militaire contre les Hereros, il mènera durant trois ans une politique systématique d’extermination de ces derniers. « Dans les frontières allemandes, chaque Herero, armé ou non, en possession de bétail ou non, sera abattu ». « Je crois que cette nation, en tant que telle, doit être annihilée », écrit l’officier allemand.

Exécutions sommaires; enfants passés à la baïonnette; déportation sans vivres de populations entières dans le désert de Namib, dont les puits sont empoisonnés par les Allemands… En 1902, les Hereros étaient 80.000; ils ne sont plus que 15.000 en 1910. Leurs alliés, les Namas, ont perdu quelque 10.000 âmes. Ceux d’entre eux qui n’ont pas fui au Botswana voisin ont été réduits en esclavage.

La coopération, une compensation?

Les descendants des chefs hereros et namas réclament des compensations à l’Allemagne. Celle-ci se défend en faisant valoir que les lois internationales protégeant les civils de crimes contre l’humanité n’existaient pas encore en 1904; elle estime qu’étant le premier contributeur d’aide au développement de la Namibie, ce doit être considéré comme un dédommagement. Des négociations sont en cours depuis des années avec Windhoek pour  qu’un accord soit trouvé, comprenant excuses officielles et nouvelles promesses d’aide.

Mais cela ne fait pas les affaires des Hereros et des Namas, qui n’ont pas été invités à ces discussions. Car ils sont dans l’opposition – notamment, indiquent certains Hereros, parce que le génocide a diminué leurs populations, les rendant minoritaires dans la Namibie d’aujourd’hui.

Deutsche Bank et SAFMarine

Ils ont donc intenté un procès aux Etats-Unis contre des entreprises allemandes qui ont bénéficié d’esclaves hereros, il y a un siècle (notamment la Deutsche Bank et SAFMarine) et contre des biens de l’Etat allemand aux Etats-Unis.

C’est dans ce dernier procès qu’une juge de Manhattan a rendu son verdict jeudi. Les plaignants n’ont pu démontrer clairement le caractère commercial des biens qu’ils visaient, acquis notamment avec des richesses prises en Namibie, selon eux: les locaux officiels de l’Allemagne à New York. L’exception au principe d’immunité d’un Etat souverain ne peut donc être retenue et la procédure est irreccevable, a tranché la juge.

Le chef des Hereros, Vekuii Rukero, a décidé d’aller en appel.

(1) Lire “Blue Book”, d’Elise Fontenaille-N’Diaye, Ed. Calmann-Lévy, 2015

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