L’Athénée Royal Verdi partira au Sénégal avec l’ONG Défi Belgique Afrique à pâques.
En cette journée du 20 décembre, le ciel se fait plus gris et les esprits fatigués des examens longuement redoutés parfois aussi. Malgré le début de ces vacances qui annoncent les festivités de noël et du nouvel an, les élèves de l’Athénée Royal Verdi ne rechignent pas devant le travail ! Ils ont rendez-vous ce matin à 9h tapante avec Cherifa, la responsable de l’ONG Défi Belgique Afrique pour une journée de formation à l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire.

L’objectif du projet Move With Africa auquel les élèves participent est avant tout de permettre une rencontre et un échange entre des jeunes du sud et du nord. Mais les élèves ne partent pas seul, ils partent en groupe. Pendant plusieurs jours les élèves devront vivre ensemble dans un pays qu’ils ne connaissent pas. Durant ce voyage, il est fort probable que des frustrations éclatent, que des personnalités se heurtent ou que situations d’inconfort agissent négativement sur les nerfs des uns et des autres. Apprendre à connaître l’autre, en commençant par son voisin, suppose donc, lui-aussi, un travail d’apprentissage.
Parle-moi de toi
Pour permettre cela, Cherifa propose aux élèves de commencer par un atelier brise-glace qui consiste à soit choisir une carte avec un dessin, soit à créer de ses mains une statuette de plasticine pour exprimer ses attentes concernant le voyage. Après ce temps de réflexion et de création pour certains, on se retrouve tous en arc de cercle pour discuter et partager nos opinions.

« Moi j’ai fait un cercle de gens qui se tiennent la main en plasticine. Il y a plusieurs couleurs pour illustrer le fait que nous avons tous des origines différentes. J’ai surtout envie de découvrir une nouvelle culture et de me faire des nouveaux amis que cela soit ici ou là-bas. J’ai envie qu’on puisse changer nos préjugés mais aussi ceux que certains sénégalais peuvent avoir de nous » raconte Caroline en montrant sa magnifique œuvre d’art. « Moi j’ai choisi le dessin de Einstein pour illustrer le fait qu’on va sûrement acquérir beaucoup de nouvelles connaissances. J’ai aussi choisi l’image de jeunes qui rient car je pense qu’on doit aussi penser à s’amuser ensemble tout simplement. Puis, finalement j’ai pris l’image d’un appareil photo pour signifier que j’aimerai changer de vision et voir les choses différemment après ce voyage » nous confie Thomas. « J’ai pris l’image d’un bonhomme qui se noie. Non pas que je veux mourir (rire) mais c’est pour montrer que j’ai envie de dépasser mes limites. De voir ce dont je suis capable. Je voudrais changer mes préjugés et vaincre ma peur de l’inconnu » explique Océane. « J’ai pris l’image de la chaîne pour montrer que nous sommes tous liés et que la vie est faite de fusions et d’échanges culturels. J’ai aussi pris l’image du globe, car je suis d’origine sénégalaise mais je n’y suis jamais allée. J’ai mes propres préjugés sur mon pays d’origine et j’aimerai changer de vision » nous dit Fatim. Finalement, plusieurs éléments-clé reviennent dans les discours des élèves. Le besoin de grandir, d’élargir son esprit, de casser les schémas préfabriqués et surtout d’apprendre encore et encore. On en sait plus sur les intentions de chacun et ce petit moment d’intimité semble déjà accorder une place à plus de sérénité et de confiance entre nous.

Petite pause bien méritée pour les élèves. Et pas n’importe laquelle ! Nous voici bientôt submergés de délicieuses tartes aux abricots, au sucre et autres que la professeure responsable, Diane, nous amène de la salle des professeurs. Et oui, malgré les vacances, nous ne sommes pas les seuls à travailler aujourd’hui. Les professeurs ont rendez-vous pour discuter des résultats des élèves et ont eu la générosité de nous gâter un peu. Les yeux encore gourmands et l’estomac bien rempli, nous voici à nouveau concentrés pour entamer un jeu bien original : la course à l’éducation.
A vos marques !Prêts ? Go… STOP !
Pour Cherifa ça n’est pas n’importe jeu. Auparavant professeure, c’est en jouant à ce jeu, inventé par l’ONG VIA Don Bosco, un jour, qu’elle a compris qu’elle voulait travailler dans l’éducation à la citoyenneté mondiale et solidaire. Mais qu’est-ce donc que cette course à l’éducation ? Et bien c’est très simple. Pareil au jeu de l’oie, les joueurs sont divisés en 4 groupes de 2 personnes. Chaque groupe a son pion et tombe sur des cases en fonction du nombre obtenu après le lancement des dés. En fonction des réponses soit on avance, soit on recule, soit on reste sur place. Les questions sont parfois des situations sur lesquelles les joueurs n’ont aucun impact, d’autres sont des questions Vrai/Faux, d’autres encore sont des mises en situations. Alors, commençons !

Les premiers joueurs lancent le dès et les voilà bien partis puisque Cherifa leur annonce qu’une entreprise vient de s’installer près de leur village et recherche du personnel qualifié. Les gens sont alors incités à se former, il y a moins de chômage. On avance de trois cases. Pour le deuxième groupe, c’est un questionnaire ! « Est-il vrai que dans les années 2010-12 l’Italie et l’Espagne ont augmenté les dépenses dans l’éducation ? » Et bien c’est faux ! Avec les politiques d’austérité il y a eu des grosses coupures dans les budgets. Et qui dit austérité, dit d’abord des coupes de budget dans la santé, l’éducation, les transports et tous les services à la personne. Pour les troisièmes, cela sera une question sur le genre. « Plus de 50% des femmes ne savent pas lire, ni écrire. Vrai ou Faux ? » demande Cherifa. Les élèves choisissent faux mais c’est bel et bien vrai ! Les femmes dans le monde n’ont souvent pas le même accès à l’éducation que les hommes. Leur éducation semble moins importante car souvent les familles souhaitent qu’elles restent à la maison pour s’occuper des enfants. Enfin, le quatrième groupe peut jeter son dès, et tombe sur un vrai ou faux. « En 2014, de combien d’euros étaient les dépenses pour l’éducation secondaire en Belgique sur un an ? » Les élèves émettent vaguement un chiffre mais bien trop bas comparé à 10.295 euros par personne dépensés par an. Cherifa élargit alors la question en nous signalant que pour la même année, la République Démocratique du Congo, elle, dépensait 32 euros par personne/par an. Les inégalités des uns et des autres face à l’accès à l’éducation illustrées dans ce jeu ne font alors que commencer.

Et les questions fusent à toute allure : « Plus les gens sont éduqués, plus ils se mobilisent pour l’environnement. Vrai ou Faux ? » ? C’est vrai ! crient les élèves. « En 2000, de combien de pourcentage le taux d’adultes analphabètes a baissé : 1% ?15% ?50% ? ». Et bien seulement de 1% ! « Et sur ces 1%, 2/3 sont des femmes et 45% d’entre-elles vivent en Afrique Sud-Saharienne » poursuit Cherifa. « Améliorer l’éducation des femmes sauve la vie de beaucoup d’enfants. Vrai ou faux ? ». C’est vrai dit le troisième groupe !
Parfois, les élèves tombent sur de simples faits sur lequel ils n’ont aucun pouvoir décisionnel : « Tu tombes enceinte, tu ne peux plus aller à l’école, tu recules de trois cases », « On te donne des cours en français alors que tu ne parles que Lingala. Tu doubles. Tu recules d’une case », « Les grosses pluies recommencent, les chemins deviennent impraticables, tu ne peux plus aller à l’école », « De nouvelles mesures sont prises pour inciter les professeurs à s’installer dans les campagnes. L’éducation s’améliore ! Tu avances de 3 cases », etc… Et oui, la vie est faite d’aléas et de décisions qui nous dépassent. Malgré l’envie d’apprendre, notre situation familiale, économique et sociale ainsi que de multiples autres facteurs, auront plus ou moins d’influence sur notre parcours scolaire.

On ne naît pas tous sous la même étoile
« Mais au fond qu’est-ce qu’un système scolaire équitable ? Qu’est ce qui le définit ? » demande Cherifa aux élèves. « Tout le monde doit y avoir accès ? », « Ça devrait être gratuit pour tous » crient les élèves qui ont chacun leur idée sur la chose. Mais finalement, ce qui définit un système scolaire équitable, c’est qu’il y ait une égalité des chances. Pour que le monde soit plus juste et égal, il faut que toute personne puisse avoir autant de chance de réussir son parcours scolaire et ce, indépendamment de son niveau socio-économique de principe. Pour permettre cela, il faut que les gouvernements en soient conscients et mettent des choses en place pour atténuer ces différences.
Il existe un programme particulier qui s’appelle le Programme international pour le suivi des acquis des élèves, souvent désigné par l’acronyme PISA, qui est un ensemble d’études menées par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), qui vise à mesurer les performances des systèmes éducatifs des pays membres et non membres. « Dans ce classement PISA, vous pensez que le système scolaire en Belgique fait partie des meilleurs, des moyens ou des moins équitables ? » nous demande Cherifa. « Les meilleurs, non ? » s’exclame Mehdi, encore estomaqué par la somme investit par l’Etat belge pour chaque élève. « On aurait tendance à répondre qu’il est parmi les meilleurs. Mais figurez-vous que non ! Il fait partie des moins équitables ! » nous explique Cherifa. Comme beaucoup le savent, le niveau socio-économique d’un élève a une énorme influence sur sa réussite scolaire. C’est ce que beaucoup de politologues, philosophes ou encore sociologues, tel que le grand Bourdieu, ont tenté de démontrer. Si nos parents viennent d’une classe sociale très élevée, il est très probable que nous ayons été sensibilisés au théâtre, à la musique, à l’architecture, à l’art plus généralement, à l’histoire, mais aussi tout simplement au vocabulaire, à la richesse des langues, et tous ces éléments qui sont aujourd’hui valorisés par la culture dominante à l’école. Il semble donc logique que l’on ait plus de facilités à obtenir des bons résultats scolaires qu’un jeune homme dont les parents parlent mal français ou dont les longs et ardus horaires de travail ingrat ne laissent que peu de place à l’éducation quotidienne des enfants. C’est contre cette logique que certains pays aujourd’hui, tel que la Norvège ou la Suède, tentent de mettre en place des mécanismes scolaires qui permettraient d’atténuer l’impact de ces différences.

Le jeu ludique et enrichissant se termine doucement, et nos esprits hantés par autant d’injustices, finissent devant la projection de photos et de micro-films pris par la Fondation GoodPlanet qui illustrent les inégalités scolaires dans le monde.
Par une belle journée d’été, enfermé dans une salle de classe où il fait trop chaud, où l’odeur de craie vous semblera alors insupportable, où la voix de votre maîtresse vous irritera les tympans et où finalement vous pesterez d’être obligés d’assister à un cours qui vous semble inintéressant, il me semble toujours pertinent d’avoir à l’esprit la chance incroyable que nous avons de pouvoir bénéficier d’une telle leçon de vie. Les inégalités existent et elles persistent, chez nous comme ailleurs. Il y a encore beaucoup de travail à faire pour que chacun d’entre nous puisse suivre son parcours scolaire en tout sérénité, mais le simple fait d’être assis là, dans une salle de classe, c’est déjà un privilège qu’on oublie trop souvent me semble-t-il.