Gabon : Frédéric Bongo, l’homme qui se voyait déjà préside

Gabon : Frédéric Bongo, l’homme qui se voyait déjà préside

A 39 ans, il est le tout-puissant patron des services de renseignement au Gabon. Mais depuis l’hospitalisation d’Ali Bongo, son demi-frère, le 24 octobre dernier à Riyad, Frédéric Bongo semble aspirer à de plus hautes fonctions.

Il est 16h00 environ ce samedi 15 décembre 2018. Quelques centaines de partisans de l’opposant Jean Ping – 400 à 500 personnes – affluent vers son QG du quartier des Charbonnages dans le 1er arrondissement de Libreville. Un événement. La dernière fois, c’était en 2016, année d’une élection présidentielle contestée dont il termina deuxième sur les talons du vainqueur. « Chacun sait que cette élection a été volée« , proteste Jean Eyeghé Ndong, un ex-Premier ministre devenu sénateur et l’un des principaux lieutenants de M. Ping.

« La voie de la diplomatie a échoué […] Et quand la négociation a échoué, il n’y a pas d’autre choix que la confrontation. Je ne vous retiens donc plus. C’est le moment !« , déclare Jean Ping à la tribune sous les hourras de la foule. Galvanisée, celle-ci ne tarde pas à mettre en application le mot d’ordre de son leader. Dès le meeting terminé, elle se lance dans une marche de protestation improvisée.

Las, celle-ci tourne court. « L’ambiance était bon enfant. On marchait sans troubler la circulation », relate Marc qui y participait, « jusqu’à ce qu’on a vu des éléments cagoulés foncés sur nous et jeter des gaz lacrymogènes, ce qui a provoqué un mouvement de panique et la dispersion de la manifestation », ajoute-t-il.

En effet, quelques minutes après que le cortège se soit ébranlé, deux gros camions et une jeep, avec à leur bord des soldats anti-émeutes, sont arrivés sur place. « Ils étaient très menaçants« , indiquent plusieurs témoins. Ce sont ces éléments qui, selon eux, ont fait déraper la marche. « Tout cela était parfaitement inutile car la manifestation était pacifique avant que ces soldats ne viennent semer le trouble. C’est après leur arrivée qu’il y a eu des violences », dénonce Marc. Au final, sept interpellations ont eu lieu et six personnes ont été déférées devant la justice, selon la police. L’opposition, elle, avance le chiffre d’une cinquantaine de manifestants interpellés.

Mais le bilan aurait pu être autrement plus dramatique sans l’intervention rapide du commandant en chef des forces de la police du Gabon, le général de division Yves Marcel Mapangou Moussadji. Au départ, celui-ci, qui dirigeait les opérations, avait donné des consignes de modération, demandant à ses troupes d’accompagner les manifestants dans le calme. Mais c’était sans compter sur l’intervention du patron des services spéciaux, Frédéric Bongo. « Il a déboulé comme un chien fou dans un jeu de quilles », décrit un haut-gradé. Court-circuitant la chaîne hiérarchique, celui-ci a ordonné aux éléments des forces de l’ordre sur le terrain d’intervenir d’une manière plus « virile ». « Si le général Mapangou n’avait pas repris rapidement la main sur le commandement, au prix de quelques tensions, il est certain qu’il y a aurait eu des morts. Ce samedi, un drame a été évité de justesse« , indique avec certitude une source policière.

Régence

Né en 1979 en France, fils d’Omar Bongo et d’Edmond Jacqueline Coq, Frédéric Bongo occupe le poste stratégique de directeur général des services spéciaux de la garde présidentielle (GP), selon la dénomination officielle. Pratiquant des sports de combat dont le free fight, un sport ultra-violent ou presque tous les coups sont permis, cet ancien élève de Saint-Cyr, titulaire d’une maîtrise en sociologie, est un passionné d’armes à feu. Elevé au grade de lieutenant-colonel, il collabore étroitement avec le patron de la redoutée garde présidentielle (GP), Grégoire Kouna, un cousin germain d’Ali Bongo, sur toutes les questions relatives au maintien de l’ordre et à la maîtrise des services de renseignements.

Mais depuis l’hospitalisation de son demi-frère, le président Ali Bongo à Riyad en Arabie Saoudite en raison probablement d’un AVC, Frédéric Bongo a pris du galon ; ou, plus précisément, s’est octroyé du galon, étendant largement son champ d’intervention. Depuis fin octobre en effet, le patron des services spéciaux de la garde présidentielle n’a eu de cesse d’étendre son pouvoir et son influence. Au point qu’aujourd’hui, il est surnommé au Gabon « le régent », autrement dit celui qui gouverne le pays en attendant le retour à plus ou moins brève échéance du président gabonais, en convalescence à Rabat au Maroc.

Dès les premiers jours de l’hospitalisation de son frère au King Fayçal Hospital de Riyad, Frédéric Bongo dépêche sur place ses fidèles dont le colonel Arsène Emvahou. D’autres se trouvent déjà en Arabie Saoudite, à l’instar du chef de la sécurité rapprochée, le lieutenant-colonel Jean-Luc Amvame. Leur mission : créer un cordon sanitaire auprès du président, verrouiller l’information (ou plutôt la distiller au compte-gouttes à certains médias) et filtrer l’accès à sa chambre. Peu à peu, le ménage est fait dans l’entourage du numéro un gabonais. Certains membres de sa famille et ses plus proches collaborateurs sont sèchement écartés.

Sans limites

Dans cette entreprise, Frédéric Bongo ne se voit opposer guère de résistance, imposant ses vues et ses choix. La première dame, Sylvia Bongo Ondimba, souhaiterait que la convalescence de son mari ait lieu à Londres ? Le tout puissant patron des services spéciaux en décide autrement. Ce sera Rabat, là où, pense-t-il, il lui sera plus facile de maintenir sous contrôle son frère de président.

Ali Bongo réclame la présence à ses côtés de son directeur de cabinet, Brice Laccruche Alihanga ? Frédéric Bongo lui interdit à plusieurs reprises de quitter Libreville. Ce n’est que le 1er décembre que l’intéressé pourra finalement se rendre au chevet du président.

Plus le temps passe, plus Frédéric Bongo bande les muscles. « Il ‘squeeze’ de plus en plus souvent, qui le ministre de l’Intérieur, qui le ministre de la Défense. Ou bien encore le chef de la police », explique une source au sein des services de sécurité. Ce fut le cas lors du meeting de Jean Ping le 15 décembre dernier, mais aussi à l’occasion de la manifestation, étouffée dans l’œuf elle aussi, de la confédération syndicale Dynamique Unitaire le 18 décembre dernier. A chaque fois, Frédéric Bongo est à la manœuvre. « Il est dangereux« , confie un opposant, « car il ne semble pas avoir de limites« .

Ces dernières semaines, à Libreville, Frédéric Bongo s’est également lancé dans une véritable chasse aux sorcières dans l’entourage du président afin d’écarter ses rivaux ou même de simples gêneurs. « Pendant que le président est absent, son demi-frère cherche à écarter les gens qui ne sont pas de son bord », explique un habitué du Palais du Bord de mer qui abrite la présidence de la République, qui se dit convaincu que la situation actuelle l’arrange. « Ces dernières semaines, Frédéric Bongo a considérablement accru son pouvoir. Dans ces conditions, vous comprendrez aisément qu’il ne soit pas forcément pressé de le voir rentrer de sitôt« , glisse-t-il.

Mal vu à Paris

Au fond, quel est l’objectif de Frédéric Bongo ? Pour certains, l’homme caresserait le rêve de devenir président. Pour d’autres, il chercherait simplement à étendre le plus possible son influence sur son demi-frère en éliminant de potentiels concurrents. Mais tous, à des degrés divers, redoutent cet homme tempétueux au caractère éruptif. « Il est mal vu à Paris, comme dans certaines autres capitales européennes, où il n’a pas de solides réseaux et où son profil de ‘sécurocrate’ inquiète plus qu’il ne rassure », explique ce diplomate qui était en poste, il y quelque temps encore, à Libreville. « Au Gabon, les opposants le craignent car il pourrait y donner un tour de vis sécuritaire. Ce serait mauvais pour la stabilité de la sous-région qui n’aurait vraiment pas besoin de cela, surtout en ce moment », ajoute cet homme d’une soixantaine d’années.

« Frédéric Bongo est un homme brutal. Ici, nous n’oublierons jamais sa responsabilité dans la terrible répression des manifestations post-élection présidentielle de 2016″, dénonce la mine grave et la voix basse l’un des principaux leaders de l’opposition. Officiellement, le bilan de ces violences est de trois morts. Mais certaines organisations des droits de l’Homme avancent, elles, le chiffre d’au moins 50 personnes tuées. Quoi qu’il en soit, « Frédéric Bongo ne l’emportera pas au paradis« , met en garde l’opposant, « car », dit-il en citant la Bible, « qui vit par l’épée, périra par l’épée. »

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