RDC : L’assassinat de deux experts au Kasaï soulève bien des questions

RDC : L’assassinat de deux experts au Kasaï soulève bien des questions

La vidéo des meurtres soulève plusieurs interrogations

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Le 12 mars dernier, disparaissaient au Kasaï deux membres du Groupe d’experts de l’Onu sur le Congo-Kinshasa, la Suédoise Zaida Catalan et l’Américain Michael Sharp. Ils enquêtaient sur les exactions attribuées à un soulèvement paysan au Kasaï central (né de la non-reconnaissance du chef de la tribu des Bajila-Kasanga, le Kamwina Nsapu, que les autorités locales voulaient remplacer par un homme à elles) ainsi qu’à l’armée et à la police chargées de le réprimer. Tous deux avaient acquis leur expertise à Goma (Nord-Kivu, à l’est du Congo).

Ancienne activiste des Verts suédois, Zaida Catalan, 36 ans, avait abandonné la politique pour se consacrer aux violences sexuelles pour le compte d’Eupol (mission de police de l’Union européenne au Congo). Michael Sharp, 34 ans, avait travaillé trois ans, au nom de l’Église Mennonite, pour le Programme de paix et Réconciliation du Conseil des Églises protestantes du Congo, afin de convaincre les FDLR (groupe armé issu des génocidaires rwandais) de déposer les armes. Tous deux étaient passés au Groupe d’experts de l’Onu, dont les rapports ont souvent souligné la connivence d’officiers congolais avec des mouvements armés locaux ou étrangers au Kivu.

Le 27 mars, les corps des deux experts étaient retrouvés près de Bukonde (Kasaï central; capitale : Kananga). Le 14 avril, la justice militaire congolaise disait interroger un suspect, présenté comme un insurgé « Kamwina Nsapu”. Le 24 avril, le ministre congolais de la Communication, Lambert Mende, diffusait devant des journalistes, à Kinshasa, une vidéo du double meurtre (triple si c’est bien à ce moment-là que leur interprète est tué, ce qui n’apparaît pas clairement sur les images), commis alors que les experts apparaissent accompagnés par des jeunes gens portant le bandeau rouge des insurgés kasaïens.

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Mais cette vidéo soulève plusieurs questions.

1. D’où vient-elle ?

La police congolaise n’en a expliqué la provenance que par “la perspicacité  de la police scientifique”. Les observateurs gardent toutefois en mémoire qu’en février dernier, les autorités congolaises avaient été mises en difficulté par la diffusion sur internet de la vidéo du massacre de présumés insurgés kasaïens par des militaires, vidéo tournée par un des soldats avec son téléphone portable, comme avait dû le reconnaître Kinshasa après que M. Mende l’eut d’abord qualifiée de “montage”. En outre, de hauts gradés de la police congolaise font l’objet de sanctions internationales pour leur responsabilité dans des violences.

2. Qui montre-t-elle réellement ?

Le spectateur ne peut qu’être frappé par le fait que les jeunes gens accompagnant les deux experts sont trois à porter, autour du front, les fameux bandeaux rouges des “Kamwina Nsapu” – mais que ces bandeaux sont neufs et propres, contrairement à ceux qu’arborent les paysans insurgés, qui vivent dans des conditions d’hygiène difficiles. Que trois rebelles aient, en même temps, fait l’acquisition de tissu rouge neuf n’est-il pas surprenant ?

3. Quand survient le double meurtre ?

On sait que les experts ont été enlevés le 12 mars. Toutefois, sur la vidéo, ils apparaissent bras ballants – donc sans sac ni matériel pour noter leurs observations – et pieds nus pour marcher en brousse. Leur mise à mort intervient donc un certain temps après leur rapt.

4. Qui tire sur les experts ?

L’analyste militaire congolais Jean-Jacques Wondo, relève, dans son blog, que plusieurs locuteurs du tshiluba parlé dans la région où est survenu le double crime “notent que l’accent du commentateur ou de la personne qui filmait” est “plutôt swahiliphone” (le swahili est parlé dans l’est du Congo et au Katanga). Et qu’« au début de la séquence,” un supposé donneur d’ordres parle français sans intonation « luba”, soit sans l’accent de la région. Enfin, que l’ordre de tuer est “exprimé dans un lingala (langue du nord-ouest du Congo et de Kinshasa) généralement parlé par les militaires kinois, provenant d’un micro un peu loin de la scène : “Tirez, tirez, tirez lisusu” (lisusu signifie “encore”; le mélange de lingala avec le français est typique de Kinshasa). Il relève, par ailleurs, que les jeunes gens qui apparaissent à l’écran sont porteurs de “deux armes de type Mauser à billes”, un modèle de “1898”, qui se “recharge manuellement” et exige “plusieurs tirs et impacts pour immobiliser la cible […] ce qui ne semble pas être le cas de la vidéo”, dans laquelle “juste après les tirs, les assaillants les déclarent directement morts”. Wondo en conclut à “une mise en scène orchestrée qui implique de vrais tueurs invisibles sur la vidéo, couverts par des figurants, armés de Mauser, aux ordres des premiers”.

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