Attentats, affrontements entre milices… L’aggravation des violences compromet un peu plus les scrutins promis en décembre.
Attentats à la bombe, attaques armées, combats entre milices rivales… Presque sept ans – le mois prochain – après la chute de la dictature de Mouammar Kadhafi, la Libye n’est toujours pas sortie du cycle infernal de la violence. Des combats entre milices rivales ont repris ce mardi en périphérie de Tripoli et provoqué une coupure générale de courant dans l’ouest et le sud du pays, selon la Compagnie nationale d’électricité. Des affrontements entre ces groupes paramilitaires avaient déjà déchiré la banlieue sud de la capitale il y a une quinzaine de jours. Ils ont fait au moins 63 morts et 159 blessés entre le 26 août et le cessez-le feu conclu le 4 septembre sous les auspices de la Manul, la Mission d’appui des Nations unies en Libye. Des roquettes étaient ensuite tombées sans faire de victimes, il y a une semaine, dans le périmètre de l’aéroport de Mitiga, dans la banlieue de Tripoli. Cet ancien aéroport militaire utilisé pour le trafic régulier depuis la mise hors service de l’aéroport international en 2014, avait rouvert quelques jours auparavant après huit jours de fermeture -suite également à des tirs de roquettes survenus à proximité.
La semaine dernière, deux assaillants armés ont fait exploser leur gilet explosif au siège de la Compagnie nationale de pétrole (NOC) à Tripoli, tuant au moins deux personnes et blessant une dizaine d’autres. Cette attaque rappelle celle commise en mai, également dans la capitale libyenne, par un commando djihadiste du groupe Etat islamique contre la commission électorale, qui avait fait douze morts.
Des élections à marche forcée
Ce contexte violent prouve, s’il le fallait encore, que la situation sécuritaire reste des plus précaires dans ce pays largement désertique d’Afrique du nord, riche en hydrocarbures et gangrené par les milices. Ces récents épisodes armés, énièmes soubresauts d’une transition politique chaotique, hypothèquent sans doute un peu plus la réalisation du scénario prévoyant l’organisation d’élections législatives et présidentielle le 10 décembre. En mai dernier, des efforts de médiation français avaient semblé convaincre les principales autorités politiques d’œuvrer ensemble à un futur pacifié. A moins que ce ne soit précisément la proximité de ces scrutins et leur organisation à marche forcée qui remettent de l’huile sur le feu entre les deux grands camps rivaux, comme l’envisage le politologue Carlo degli Abbati, professeur de relations internationales à l’université de Gênes.
« La décision de la France d’accélérer le processus électoral en fixant la date du 10 décembre a rendu la situation électrique dans le pays et a provoqué un retournement d’alliance de la part de la 7e Brigade, une milice Tarhouna (au sud-est de Tripoli, Ndlr) qui s’est rangée aux côtés du maréchal Haftar », estime ce spécialiste de la Libye. « Ayant le vent en poupe, car bien soutenu de l’extérieur, ils auraient pu tenter un coup d’Etat pour s’emparer du pouvoir. C’est probablement ce qui vient de se passer », commente Carlo degli Abbati, se référant à l’appui de l’Égypte voisine et des Émirats arabes unis dont bénéficie le camp Haftar.
Ancien général de Kadhafi devenu son pire ennemi, Khalifa Belqasim Haftar avait lancé, dès mai 2014, une vaste opération militaire contre les milices islamistes à Benghazi, dans l’est du pays. A la tête d’une force paramilitaire baptisée Armée nationale libyenne (ANL), il s’est progressivement imposé comme l’homme fort de l’Est, soit l’immense province de Cyrénaïque.
L’influence des milices renforcée
L’actuelle transition politique libyenne, supervisée par l’Onu, bloque entre autres sur le volet sécuritaire des accords de Skhirat (Maroc) conclus fin 2015. Celui-ci prévoyait le départ des groupes armés des grandes villes et l’intégration des miliciens dans des forces de sécurité régulières et unifiées. En particulier, la non-inclusion des forces d’Haftar (75 000 hommes revendiquant le contrôle de 90 % du pays, incluant l’Est, le Sud et les frontières de l’Egypte à la Tunisie) dans les forces régulières explique l’opposition inextricable entre les deux camps.
L’incapacité du gouvernement « d’union nationale » (GNA), dirigé par Fayez al Sarraj (notre photo), de réaliser cet objectif a permis aux grandes milices de renforcer leur influence. Certaines d’entre elles assurent la sécurité du GNA et de la capitale, tout en s’infiltrant dans les rouages politiques et économiques de l’Etat naissant. Siégeant à Tripoli, ce cabinet provisoire mis en place début 2016 et soutenu par une coalition de milices islamistes (et appuyé par la Turquie et le Qatar), n’a toujours pas été adoubé par le Parlement élu (en juin 2014) et reconnu par la communauté internationale, qui s’est déplacé en 2016 à Tobrouk, dans l’est du pays.
La clé de la transition politique
A l’origine des rivalités armées, souligne M. degli Abbati, « il y a une énorme diversité culturelle et politique » qui se reflète dans la structure tribale et clanique de la société libyenne. Et, précisément, « la nature tribale de la Libye explique la nécessité d’une approche lente et d’une solution progressive, en récoltant le consensus auprès des acteurs sur le terrain », affirme ce spécialiste pour qui la clé de la transition politique réside dans la consolidation, pas à pas, des institutions libyennes naissantes.
Pour lui, imposer Haftar comme « l’homme providentiel » de la Libye, comme certains le souhaitent, serait une « erreur dramatique ». L’on prendrait le risque de retomber dans un régime fort, à l’Egyptienne, ou à tout le moins dans un nouveau scénario d’opposition. « Haftar fait certainement partie de la solution mais il n’est pas la solution », insiste M. degli Abbati. « Si on prend le pari de jouer la figure du maréchal Haftar, on prend le risque de se retrouver avec la situation inversée car il ne faut pas penser qu’il fait l’unanimité dans tout le pays. Si on fait cela, au lieu d’avoir des difficultés et une opposition centrée sur al Sarraj, on aura les mêmes difficultés et la même opposition envers Haftar ».