Pourquoi la Cenco défie Kabila

Pourquoi la Cenco défie Kabila

Les évêques sont poussés dans le dos à la fois par leur base locale et par la hiérarchie du Vatican

Depuis le constat d’échec du 27 mars 2017 dans le cadre des négociations sur les arrangements particuliers devant permettre la mise en œuvre de l’accord de la Saint-Sylvestre, les évêques de la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) avaient brillé par leur silence. Ce lundi-là, après avoir tenté un ultime arbitrage entre les délégations de la majorité présidentielle et du Rassemblement de l’opposition, les évêques avaient dû se résoudre à jeter l’éponge, incapables de concilier les positions des deux camps, notamment sur la question de la désignation du Premier ministre et du président du Comité national de suivi de l’accord (CNSA).

Depuis, Joseph Kabila s’est adressé à la nation, le 5 avril, et a désigné un nouveau Premier ministre issu d’une aile dissidente du Rassemblement de l’opposition au grand dam de cette opposition congolaise emmenée par Félix Tshisekedi et Moïse Katumbi mais aussi de la communauté internationale qui n’a pas manqué de souligner que ce choix contrevenait à l’esprit de l’accord du 31 décembre qui prévoyait que le poste de Premier ministre devait revenir au Rassemblent de l’opposition aile Félix Tshisekedi.

L’entorse qui passe mal

Depuis le 7 avril, Bruno Tshibala (ex-UDPS) s’essaie donc à composer un gouvernement qui devrait amener, selon l’accord de la Saint-Sylvestre, le pays aux élections fin de cette année. Mais depuis vendredi, et la sortie très critique des évêques congolais, qui ont parlé de sa désignation comme une “entorse” à l’accord de la Saint-Sylvestre, la position du Premier ministre est devenue très inconfortable et les plans de Joseph Kabila pour gagner du temps et se jouer de l’accord ont commencé à prendre l’eau.

Pourquoi cette prise de position ?

Nul doute que les évêques ont été poussés dans le dos par leur base. Des prêtres et des abbés confrontés quotidiennement au mécontentement d’une population congolaise qui jugeait le silence des évêques comme une complicité avec le régime de Kabila.  “Il y a déjà des gestes de mauvaise humeur de la population à notre égard”, reconnaît un prêtre du Kongo central (ex-Bas Congo). “Nos ouailles sont fatiguées de toutes ces discussions. Elles ne voient rien venir et constatent que leur quotidien est de plus en plus précaire. Elles réclament un changement”, ajoute un abbé du Bas-Uélé (ex-district de la Province orientale devenu province en 2015).

Pression papale

Un mécontentement populaire qui n’a pas échappé non plus au Vatican, très critique à l’égard des tentatives de Kabila de se maintenir au pouvoir malgré la Constitution qui prévoit qu’il ne peut briguer que deux mandats successifs (le second s’est terminé le 19 décembre 2016). Le pape François, qui va débuter cette semaine une tournée africaine par une halte en Egypte avant de passer par le Soudan du Sud et la République du Congo, ne fera pas arrêt à Kinshasa, comme cela avait été évoqué. “Avec Kabila, ça ne va pas, je ne crois pas qu’on puisse y aller”, a confirmé le pape François le 9 mars dans un entretien au journal allemand “Die Zeit”. Le Vatican sait aussi qu’il doit être particulièrement attentif à la situation en République démocratique du Congo en passe de devenir la première Eglise catholique du continent africain.  Les démographes annoncent un pays de 150 millions d‘âmes en 2050 dont 50 % de catholiques.

Guerre des églises

Dans ce contexte, le pouvoir semble, depuis samedi soir, vouloir aussi jouer la carte de la tension entre catholiques et protestants. Ces derniers ont beaucoup à perdre avec la fin du “kabilisme”. Monseigneur Marini Bodho, le chef de l’eglise protestante, est président honoraire du Sénat, tandis que Corneille Naanga, éminent représentant de cette église, est le tout-puissant patron de la Commission électorale nationale indépendante. (Ceni) chargée de préparer le scrutin présidentiel à venir.

Voyage en Egypte

A la veille de cette annonce de la Cenco, le président Joseph Kabila était parti en Egypte à la recherche du soutien de ses homologues africains. L’Egypte, partenaire stratégique des Etats-Unis, est, comme le Sénégal et l’Ethiopie, actuellement membre non permanent du Conseil de sécurité de l’Onu. Un argument qui aussi justifie ce déplacement.

Qui plus est, le président Kabila sait que la voix de sa RDC est aujourd’hui précieuse pour le président Sissi. En effet, l’Egypte a besoin de la République démocratique du Congo, Etat membre du Bassin du Nil, face à la multiplication des projets soudanais de barrages sur le fleuve. Des barrages qui nuisent à la production d’énergie en Egypte. Les autorités égyptiennes cherchent donc des alliés pour les enrayer.

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