Des actrices trop noires pour l’écran blanc

Des actrices trop noires pour l’écran blanc

L’actrice française Aïssa Maïga et quinze consœurs signent l’ouvrage collectif “Noire n’est pas mon métier”. Ensemble, elles y dénoncent les stéréotypes racistes et sexistes ainsi que les œillères du cinéma français. Une revendication qui s’est invitée jusque sur le tapis rouge du Festival de Cannes.

« Cherche jeune fille de 13 à 18 ans pour un rôle. » Voila une phrase qui fait légitimement naître bien des espoirs dans le cœur d’actrices débutantes, mais la douche froide ne tarde jamais à tomber, souligne Karidja Touré (vue dans le film « Bande de filles » de Céline Sciamma). « S’il n’y a rien de précisé, alors le rôle est forcément pour une Blanche. »

Alors même que si peu de Noir(e)s sont présent(e)s dans les Conservatoires et cours de comédies, les rôles proposés à ceux qui en sortent, parfois couverts de lauriers, restent atones et répétitifs: maîtresses, domestiques, infirmières, prostituées, agents subalternes le plus souvent…

« C’est fou comme une présence noire au théâtre doit obligatoirement avoir ou donner du sens », note Sara Martins (vue dans de nombreuses pièces et dans les séries « Détectives » ou Meurtres au paradis). Pourquoi les acteurs noirs ne pourraient-ils être choisis pour la seule qualité de leur jeu ?
C’est la question que posent seize comédiennes dans l’ouvrage collectif « Noir n’est pas mon métier ». On y croise les témoignages de Sonia Rolland, Firmine Richard, Nadège Beausson-Diagne ou Assa Sylla, autant de visages et de noms trop vite croisés au bas des écrans. Elles y racontent un parcours semé d’embûches, d’espoirs et de désillusions. Où le risque le plus grand est toujours celui de l’invisibilité ou de la caricature.

Dépasser les assignations et les clichés

Quel choc pour cette comédienne, ayant suivi au préalable une formation juridique, de s’entendre dire que ce rôle d’avocate n’est « forcément pas pour elle, mais pour une comédienne d’origine caucasienne ». Expression détournée qui ne fait que pointer davantage l’une des particularités de sa personnalité, encore et toujours ramenée à sa couleur de peau et à la nature de ses cheveux.
En oubliant toutes les autres: grande, belle, photogénique, diplômée, ex-danseuse, parlant trois ou quatre langues. Toutes ces qualités qui permettent de faire la différence quand on est blanche et en concurrence pour un rôle… Quel manque d’imagination, quelle absence de créativité de la part des réalisateurs et des producteurs…

Pour certains et certaines, le choix le plus sensé sera celui de l’exil vers ces autres territoires (Los Angeles, Montréal,…) où la couleur de peau n’est pas vécue comme un critère déterminant, voire déterministe.
Après y avoir découvert le plaisir d’être acceptée en tant qu’actrice sans préjugés, France Zobda a toutefois fait le choix de revenir en France et d’y mener « le combat de la reconnaissance », d’y devenir « ambassadrice des outre-mers et des minorités visibles ».

Devenue productrice au sein d’Eloa Prod, France Zobda se bat aujourd’hui pour que d’autres histoires soient montrées sur les écrans, des récits tels que celui de « Toussaint Louverture » (avec Jimmy Jean-Louis et Aïssa Maïga, cf. l’extrait ci-dessous), héros d’Haïti, ou « Le rêve français » sur l’immigration des ultramarins dans les années 60 en France, deux fictions diffusées sur France Télévisions.

Une autre télévision, un autre cinéma est possible

A l’heure où des actrices comme Kerry Washington (Scandal) ou Viola Davis (How to get away with murder) triomphent aux USA, où des films comme « Black Panther » explosent au box-office, pourquoi la France devrait-elle se tenir à l’écart de ce mouvement ? Ce livre de témoignages pose la question avec pertinence et de façon très mesurée, en multipliant les exemples flagrants de discrimination sans jamais sombrer dans l’agressivité ou l’amertume à outrance.

Sa publication ainsi que la présence des 16 actrices sur le tapis rouge du Festival de Cannes ont suscité un coup de projecteur bienvenu. Reste à espérer que cette prise de conscience ne sera pas un feu de paille et a bien enclenché un sursaut salvateur et un véritable mouvement de fond…

Karin Tshidimba

Que pensez-vous de cet article?

Derniers Articles

Journalistes

Dernières Vidéos