Par Marie-France Cros.
Notre confrère congolais Bruno Kasonga Ndunga Mule publie chez Edilivre un ouvrage retraçant les prémices de l’explosion de violence qui a ensanglanté le Grand Kasaï (centre du pays) en 2016 et 2017 et les grandes étapes de celle-ci. Il tente d’en expliquer les causes alors que, contrairement à ce qu’ont affirmé les autorités congolaises, la révolte n’est pas éteinte.
Par Marie-France Cros.
Notre confrère congolais Bruno Kasonga Ndunga Mule publie chez Edilivre un ouvrage retraçant les prémices de l’explosion de violence qui a ensanglanté le Grand Kasaï (centre du pays) en 2016 et 2017 et les grandes étapes de celle-ci. Il tente d’en expliquer les causes alors que, contrairement à ce qu’ont affirmé les autorités congolaises, la révolte n’est pas éteinte.
L’auteur, lui-même Kasaïen et « déçu » du pouvoir kabiliste, a écrit cet ouvrage pour corriger les nombreuses « erreurs » propagées sur le sujet et pour s’ « élever contre l’injustice ». Car la tragédie kasaïenne est, pour lui, « assimilable au premier génocide du XXIe siècle ».
Le parti veut contrôler les chefs
Il en voit les causes dans le fait que « l’Etat ne remplit pas ses missions » au Kasaï, poussant sa population à se tourner vers les chefs coutumiers. Or, les autorités locales et régionales ont, ces dernières années, de plus en plus cherché à s’assurer que ces derniers n’échappent pas « au contrôle de leur famille politique ».
C’est pour l’avoir refusé au nom de la loi, qui interdit aux chefs coutumiers d’être affiliés à un parti politique, que Jean-Pierre Pandi Nsapu, devenu Kamuina Nsapu V, à la mort de son oncle, en 2012, ne se verra pas reconnaître ce statut durant plus de quatre ans par les autorités du Kasaï central, alors que la loi prévoit que les autorités administratives « autorisent l’installation » du nouveau chef si celui-ci « est connu » – ce qui était le cas de Pandi Nsapu, désigné par la famille régnante des Bashila-Kasanga. Si la ministre congolaise des Droits de l’Homme, Marie-Ange Mushobekwa, reconnaît une « défaillance grave » des services publics, Bruno Kasonga note que « les autorités provinciales ont fait disparaître du registre » des visiteurs « toutes les pages » concernant Pandi, « volonté claire de dissimuler les preuves d’un délit.
Epouse violée, attributs du pouvoir volés
En avril 2016, en son absence, quatre militaires vont fouiller la maison de Pandi Nsapu, violent son épouse, détruisent des objets sacrés (la fonction de chef comporte des aspects mystiques) et dérobent les attributs traditionnels du pouvoir. C’est pourquoi, note l’auteur, sa milice s’attaquera aux symboles de l’Etat lorsqu’elle entreprendra de défendre « sa terre » face aux envoyés de l’Etat. Les efforts de députés locaux en vue d’une médiation n’aboutiront pas et, la nuit du 21 au 22 juillet 2016, des jeunes du village de Kamuina Nsapu V attaquent un sous-commissariat. C’est le début de violences qui s’étendront sur cinq provinces.
L’auteur note que, durant la répression de celles-ci, les massacres de civils cessent à l’autre bout du pays, à Beni (Nord-Kivu, est) – où le général de l’armée congolaise, Akili Muhindo, surnommé « Mundos », est accusé d’être l’artisan des massacres. C’est lui qui sera muté au Kasaï central pour surveiller le déploiement militaire à Kananga, Luebo et Bunkonde. Dans les deux cas, note Bruno Kasonga, l' »objectif » est de « punir la population qui s’allie à un leader qui s’oppose à Joseph Kabila et risque de faire rater la prochaine élection ».
Le 12 août 2016, Pandi Nsapu est tué et émasculé par des policiers et militaires, son corps exposé nu au stade des Jeunes à Kananga, au mépris des usages qui interdisent que l’on humilie
ainsi la dépouille d’un chef. Cette violence va produire « des métastases » parce que toute la région est paupérisée et abandonnée par l’Etat.
Faux miliciens et milices créées par l’Etat
Mais toutes les victimes attribuées aux révoltés ne sont pas les leurs, écrit l’auteur, qui évoque de « faux » miliciens Kamuina Nsapu, ainsi que des vrais « manipulés » par les autorités, alors que l’armée crée elle-même des milices ethniques qui massacrent des ressortissants des ethnies obéissant à Kamuina Nsapu V, les Lubas et les Luluas. Militaires et police commettent eux-mêmes des massacres, comme celui de Nganza (faubourg de Kananga) les 29 et 30 mars 2017 (186 tués recensés par des ONG, âgés de 3 à 70 ans). L’auteur y voit un acte de « génocide », non sanctionné par les autorités congolaises.
Quelques jours plus tôt, deux experts de l’Onu qui enquêtaient sur les possibles crimes de guerre et contre l’humanité commis au Kasaï étaient assassinés. L’auteur étudie les circonstances de ce double meurtre – survenu dans une région contrôlée par des militaires congolais du 812e Régiment, souligne-t-il, déjà accusé de massacres au Kivu en 2013 par des experts de l’Onu – et le procès douteux qui est en cours contre ses présumés auteurs.
Justifier l’absence d’élections
Bruno Kasonga dénonce des « stratégies paranoïaques » de répression utilisées au Kasaï comme au Kivu et au Katanga, afin d’en faire des foyers actifs successifs destinés à justifier la non organisation d’élections dues depuis 2016. Il demande que le président hors mandat Joseph Kabila soit « déféré devant la Cour pénale internationale (CPI) » comme « auteur moral, co-auteur et complice des massacres », et qu’il soit jugé pour « trahison » pour n’avoir pas respecté son serment de chef d’Etat de défendre la Constitution et sauvegarder l’unité du pays ».
Le livre, qui compte 370 pages, comprend une chronologie longue et précise et de nombreux documents.
Le livre de Bruno Kasonga doit sortir sous forme papier, au prix de 29,50 euros, mais existe déjà en ligne, où le téléchargement revient à 1,99 euro. Il peut être acheté sur ce site: https://www.edilivre.com/le-phenomene-kamuina-nsapu-un-pretexte-de-joseph-kabila-pour-mas.html/