L’industriel breton Vincent Bolloré a été placé en garde à vue mardi à Nanterre dans une enquête sur des soupçons de corruption autour de l’attribution de concessions portuaires en Afrique de l’Ouest.
L’homme d’affaires est entendu dans les locaux de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (OCLCIFF), dans le cadre d’une information judiciaire ouverte à Paris qui vise à déterminer si le groupe Bolloré a utilisé ses activités de conseil politique, via sa filiale Havas, pour obtenir la gestion des ports de Lomé, au Togo, et de Conakry, en Guinée.
Confiée aux juges financiers Serge Tournaire et Aude Buresi, cette information judiciaire, portant sur des soupçons de « corruption d’agent public étranger », a pris la suite d’une enquête préliminaire ouverte en juillet 2012 par le parquet de Paris, puis transférée au parquet national financier. Dans un communiqué, le groupe Bolloré a « formellement » démenti toute irrégularité liée à ses activités africaines.
Un port contre un conseil politique
Une perquisition avait déjà eu lieu en avril 2016 à la tour Bolloré de Puteaux (Hauts-de-Seine), siège notamment du groupe Bolloré Africa Logistics, en particulier dans les bureaux de Vincent Bolloré, alors PDG du groupe. C’est en enquêtant sur les relations de Francis Perez, président du groupe Pefaco, une société spécialisée dans l’hôtellerie et les jeux et très implantée en Afrique, que les enquêteurs ont été amenés à se pencher sur les activités africaines de Vincent Bolloré.
Francis Perez comptait parmi ses relations Jean-Philippe Dorent, salarié de la société de communication Havas, qui s’est notamment occupé en 2010 de la campagne présidentielle guinéenne du candidat Alpha Condé. Elu président en novembre 2010, M. Condé avait résilié le 8 mars 2011, par décret, la convention de concession du terminal à conteneurs du port de Conakry octroyée en 2008 pour une durée de 25 ans à Getma, une filiale de l’armateur français NCT Necotrans. Le gouvernement guinéen avait confié quelques jours plus tard la gestion du port au groupe Bolloré, déclenchant une bataille judiciaire entre les deux rivaux. Le groupe Bolloré avait été condamné en 2013 à verser plus de 2 millions d’euros à NCT Necotrans pour solder ce litige.
Jean-Philippe Dorent s’était également chargé d’une partie de la communication du jeune président togolais Faure Gnassingbé, qui avait succédé à son père Gnassingbé Eyadema à la tête du pays. En 2010, année de la réélection de M. Gnassingbé, le groupe Bolloré remportait la concession du terminal à conteneurs du port de Lomé pour une durée de 35 ans. Une décision elle aussi contestée par un concurrent.
L’empire Bolloré en Afrique
Concessionnaire de ports, opérateur de lignes ferroviaires et actionnaire de sociétés agricoles, le groupe français Bolloré a su se rendre incontournable dans les circuits économiques en Afrique, où il est présent dans pas moins de 46 pays. Ces opérations africaines – parfois controversées – ont contribué au chiffre d’affaires du groupe à hauteur de 2,5 milliards d’euros en 2017, soit 25% de l’activité hors intégration récente de Vivendi. L’entreprise a en outre prévu d’investir 300 millions d’euros en 2018 sur le continent.
ACTIVITES PORTUAIRES
Du stockage au transport des marchandises, Bolloré Africa Logistics est incontournable en Afrique de l’Ouest. Le groupe gère directement les terminaux à conteneurs de 10 ports de la région, de Conakry en Guinée, à Pointe-Noire au Congo-Brazzaville. Il opère aussi dans 16 terminaux à conteneurs sur le continent par l’intermédiaire de partenariats public-privé.
En Côte d’Ivoire, Bolloré a annoncé pour juin 2019 la construction dans la capitale économique Abidjan d’un deuxième terminal portuaire capable d’accueillir les plus grands porte-conteneurs fréquentant les côtes africaines. Le groupe assure déjà depuis 2004 la gestion et l’exploitation du premier terminal du port d’Abidjan, leader en Afrique de l’Ouest et façade maritime des pays de la sous-région (Mali, Niger et Burkina Faso).
En 2017, le groupe a racheté une partie de son concurrent Necotrans, peu après le placement en redressement de cette société, au terme d’un long affrontement judiciaire. Le groupe Bolloré avait obtenu la gestion du port de Conakry suite à une intervention du gouvernement guinéen en 2011, alors qu’une filiale de Necotrans gérait le terminal à conteneurs depuis 2008. Bolloré avait été condamné en 2013 à verser plus de 2 millions d’euros à Necotrans.
ACTIVITES FERROVIAIRES
Le groupe Bolloré détient la majorité dans trois concessions ferroviaires en Afrique: Sitarail (Côte d’Ivoire, Burkina Faso), Camrail (Cameroun) et Benirail (Bénin). L’histoire récente du groupe a été marquée par une catastrophe ferroviaire qui a fait 79 morts et 600 blessés fin 2016 à Eseka, dans le centre du Cameroun. L’enquête camerounaise a établi la « responsabilité » de Camrail car elle n’aurait pas respecté « certaines règles de sécurité ».
En termes d’investissements, Bolloré Africa Logistics peine à avancer dans son projet d' »Épine dorsale », une ligne de chemin de fer de 3.000 km reliant Cotonou à Abidjan en passant par Niamey et Ouagadougou.
En 2008, le Bénin et le Niger avaient lancé un appel d’offre en commun pour construire et gérer le tronçon ferroviaire de 1.000 km reliant Cotonou à Niamey. Il avait été remporté par Petrolin, la société de l’homme d’affaires Samuel Dossou, à qui il avait été retiré en 2013 au profit du groupe Bolloré, via la société Benirail, provoquant un conflit entre les deux groupes. En octobre 2017, la justice béninoise a donné raison à Petrolin, déboutant Bolloré. Après des années de bataille judiciaire, et des mois de négociations, le projet est toujours au point mort. Les présidents des deux pays africains ont indiqué le 7 avril envisager une coopération avec la Chine.
Sur le tronçon Abidjan-Ouagadougou (1.260 km), les travaux de réhabilitation attendus depuis 2015 ont été lancés en décembre 2017. Prévus pour durer huit ans et estimés à environ 400 millions d’euros, ils doivent permettre à la Sitarail de transporter chaque année 5 millions de tonnes de marchandises et 800.000 voyageurs.
ACTIVITES AGRICOLES
Bolloré détient 38,8% de la holding luxembourgeoise Socfin, qui gère environ 187.000 hectares de plantations, principalement de palmiers à huile et d’hévéas, en Afrique et en Asie. Ces activités de production d’huile de palme ont valu à la Socfin des accusations d’accaparements de terres. Des paysans africains et asiatiques réunis en « Alliance internationale des riverains des plantations Socfin Bolloré » ont lancé en 2015 des actions de protestation contre l' »accaparement » de leurs terres, décrivant une expansion « continue » des plantations Socfin depuis 2008.
Dans cette affaire, la Socfin a attaqué en justice des médias et ONG pour diffamation, mais le tribunal correctionnel de Paris les a relaxés en mars 2018.
Bolloré poursuit aussi pour diffamation le journaliste français Tristan Waleckx et la présidente de France Télévisions pour un documentaire. Sont notamment ciblés les extraits consacrés aux activités de la Socapalm, filiale de Socfin au Cameroun, dans lesquels des sous-traitants dénoncent leurs conditions de travail.