Gabon : Qui en veut au directeur de cabinet d’Ali Bongo ?

Gabon : Qui en veut au directeur de cabinet d’Ali Bongo ?

Par Adrien Seyes

Inquiétant, à tout le moins troublant. C’est ainsi qu’est perçu l’événement survenu la semaine dernière à Libreville. Subitement, dans le bureau du directeur de cabinet d’Ali Bongo, le plafond s’est effondré. Un événement rarissime qui pourrait bien ne pas être accidentel…

Qui en veut à Brice Laccruche Alihanga, le nouveau directeur de cabinet du président gabonais, Ali Bongo Ondimba ? Depuis plusieurs semaines, cette question agite le microcosme politique du pays et cette interrogation se fait de plus en plus pressante. Et pour cause.

Mardi 20 mars 2018. Il est près de midi. Au Palais du Bord de mer, qui abrite la présidence gabonaise, un plafond s’effondre. Pas n’importe lequel. Celui qui se trouve dans le bureau de Brice Laccruche Alihanga, le directeur de cabinet d’Ali Bongo. Celui-ci a été nommé quelques mois plus tôt, le 25 août 2017, par décret en conseil des ministres. A ce titre, il est le principal collaborateur du chef de l’Etat gabonais, ce qui lui vaut le surnom du « tout puissant ».

L’incident n’a fait aucune victime. M. Laccruche Alihanga avait quitté la pièce quelques minutes plus tôt. C’est en rentrant qu’il a constaté les dégâts. « Nous sommes passés à deux doigts d’une catastrophe », témoigne un habitué du Palais du Bord de Mer, « d’autant plus« , précise-t-il, que « le propre fils du président, Nourredine Bongo  passe très régulièrement le voir dans ce bureau.

Un incident ou… ?

Presqu’aussitôt dépêché sur les lieux, un responsable technique, assisté par des éléments du ministère de la Défense, procède aux premières constatations. L’effondrement du plafond pourrait être dû à un excès de condensation, suppute-t-il. Mais rien n’est moins sûr. Du coup, une contre-expertise est décidée afin de faire toute la lumière sur les causes de cet incident. C’est la société française Veritas qui en sera chargée.

Si la décision est prise de diligenter une contre-expertise, c’est que d’emblée, il y a un doute sur la nature de l’incident. Est-il accidentel ou… intentionnel ?

Depuis son arrivée à la présidence, Brice Laccruche Alihanga a pu constater qu’il n’avait pas ques des amis. Notamment dans les membres de la « vieille garde » qui ont profité de leur situation avant son arrivée. « Il n’y a qu’à voir les scandales de corruption qui sont remontés à la surface ces derniers temps pour avoir une idée de l’ampleur du phénomène« , explique un proche du président, qui lui rend encore visite « de temps à autre » à Libreville. « Et encore, ce qui affleure aujourd’hui n’est que la face émergée de l’iceberg« , s’empresse-t-il de préciser.

Un système de corruption généralisé auquel commence à s’attaquer le nouveau directeur de cabinet d’Ali Bongo qui claironne qu’il entend moderniser l’Etat et l’économie du pays. Pour y parvenir, Brice Laccruche Alihanga dispose de quelques atouts : Il a l’oreille du président, il est jeune (38 ans) et malgré tout bien expérimenté grâce à son poste de commissaire aux comptes du cabinet international d’audit et d’expertise comptable, PricewaterhouseCoopers.

En outre, « Brice Laccruche est populaire à Libreville », comme l’indique le responsable d’un mouvement associatif très implanté dans la capitale gabonaise. « Il a grandi ici avec nous. Il connaît la rue », explique-t-il. « Ce capital sympathie, le président Bongo en bénéficie« , souligne un observateur, ajoutant que cette situation « contraste fortement avec la période précédente ».

La vieille garde gênée par la présence du nouveau « dir cab »

La période précédente justement, c’est celle durant laquelle officiait le prédécesseur de Brice Laccruche Alihanga, Maixent Accrombessi. Autant le premier est apprécié de la population, autant le second – Béninois d’origine – est honni. « Dans l’esprit de beaucoup de Gabonais, Maixent Accrombessi, c’est l’âme damnée d’Ali Bongo, l’incarnation du système de corruption outrancier qui a prévalu durant le premier mandat du chef de l’Etat« , explique un ancien ministre, passé depuis à l’opposition. Or, Maixent Accrombessi, écarté un temps du Palais du Bord de mer en raison d’un AVC survenu en août 2016, est de nouveau à la manœuvre pour tenter de retrouver, en partie du moins, la place qu’il occupait à l’époque auprès d’Ali Bongo. 

).

Mais au sein de la vieille garde, Maixent Accrombessi n’est pas le seul que la présence et les ambitions du nouveau « dir cab » d’Ali Bongo gêne. Parmi ceux-ci, les « sécurocrates » du régime d’Ali Bongo figurent en bonne place, à commencer par Frédéric Bongo, le directeur général des services spéciaux (renseignements et sécurité nationale), le commandant Nina Patricia Tsounghat, la cheffe de cabinet du président, ou encore le colonel Arsène Emvahou, l’un des aides de camp du chef de l’Etat formé à l’académie militaire royale de Bruxelles et qui a occupé de fait les fonctions de directeur de cabinet durant la période allant de l’AVC de Maixent Accrombessi et l’arrivée de Brice Laccruche Alihanga.

« Tout ce beau monde se voue une haine sans borne. C’est une question de pouvoir mais également d’intérêts financiers », glisse le responsable d’une ONG locale de lutte contre la corruption. « Certes, Brice Laccruche ne parviendra pas à faire disparaître la corruption au Gabon mais il peut contribuer à la réduire suffisamment pour la rendre moins insupportable« , explique notre ancien ministre, passé avec armes et bagages en 2016 dans les rangs de l’opposition. « De toute façon, ça ne pourra pas être pire qu’avant », soupire-t-il.

En attendant d’y voir plus clair sur l’identité du commanditaire dans cette affaire de plafond effondré et dans l’hypothèse où il ne s’agirait pas d’un simple accident, une question demeure : a-t-on cherché à faire peur à Brice Laccruche Alihanga, voire pire à attenter à sa vie ? Sur ce point, le témoignage d’une source sécuritaire extérieure au pays, mais qui « le connaît bien » pour y avoir passé « plus de cinq ans« , est très éclairant.

Etrange précédent

« Je ne crois pas à la thèse de l’accident. Je ne pense pas non plus qu’on ait cherché à s’en prendre à la vie de cette personne (Brice Laccruche Alihanga), ni même à lui faire peur. En fait, je pense que des personnes ont cherché à placer un dispositif d’écoute dans le bureau de ce monsieur. Suite à ces opérations, la structure (le plafond), peut-être déjà fragile en raison de l’humidité, de la condensation, etc., a pu être davantage fragilisée. Et du coup, tout s’est effondré », explique cet homme expérimenté derrière des lunettes aux verres fumés, aujourd’hui rentré en Europe.

« Si je vous dis cela, c’est pour deux raisons au moins », poursuit notre interlocuteur. « La première, c’est parce que j’ai déjà rencontré ailleurs pareil cas de figure. La seconde, c’est parce qu’un événement similaire s’est déjà produit une fois au Palais du Bord de mer. Et devinez quoi, l’incident est survenu dans le bureau d’une personne très importante, le haut représentant personnel du président de la République. Certains services cherchaient manifestement à le mettre sur écoute », nous confie-t-il.

Vérification faite, cet événement a bien eu lieu. C’était en 2011. Le haut représentant personnel du chef de l’Etat s’appelait alors Pascaline Mferri Bongo Ondimba, la propre sœur ainée d’Ali Bongo qui était alors en conflit direct avec Maixent Accrombessi.

Que pensez-vous de cet article?

Derniers Articles

Journalistes

Dernières Vidéos