Gabon : Comment Maixent Accrombessi tente de revenir au centre du jeu

Gabon : Comment Maixent Accrombessi tente de revenir au centre du jeu

Intriguant. La semaine dernière, une rumeur sur une prétendue menace de retrait du soutien du FMI au Gabon s’est répandue comme une traînée de poudre. Un fait jugé suffisamment grave pour contraindre le ministre de l’Economie à la démentir par voie de communiqué. Rapidement, les soupçons se tournent vers le ministère du Budget qui en aurait été à l’initiative. Pourquoi ? Entre querelle d’influence et appétit financier, explication.

Elle court, elle court la rumeur. Ce jeudi 15 mars 2018, en l’espace de quelques heures, plusieurs articles fleurissent dans la presse en ligne gabonaise. Rien, en revanche, dans les médias internationaux. La rumeur parle d’une prétendue menace de retrait du soutien accordé par le FMI au Gabon en juin 2017 (en l’occurrence, un prêt de 642 millions de dollars) au motif que celui-ci verrait d’un mauvais œil la mise en place du mécanisme du Club de Libreville. Un dispositif instauré en février 2018 pour permettre à l’Etat d’apurer sa dette vis-à-vis des entreprises locales.

La rumeur semble d’emblée peu crédible mais dans un pays où la population y prête une oreille très attentive – au Gabon, il y a un terme pour cela : « Kongossa » –, elle est une arme efficace de communication. Les autorités décident donc de la démentir au plus vite. C’est chose faite le jour même par voie de communiqué signé du ministre de l’Economie, c’est dire si en haut-lieu l’affaire est prise au sérieux. A Libreville, dans les cercles de pouvoir, l’identité du commanditaire de cette fake news ne fait aucun doute. Le ministère du Budget, piloté par Jean-Fidèle Otandault, est pointé du doigt.

Mais quel intérêt aurait donc bien pu avoir ce dernier à agir de la sorte ? Pour le comprendre, il faut remonter quelques années en arrière.

2011, Maixent Accrombessi est alors le tout-puissant directeur de cabinet du Président Ali Bongo Ondimba. Le premier exerce sur le second une influence rare, qui passe mal tant dans l’entourage du chef de l’Etat qu’au sein de la population auprès de laquelle ce Béninois d’origine est fortement impopulaire. Il cristallise à ce point la colère que, le 13 avril 2015, l’Ambassade du Bénin à Libreville sera incendiée…

« Les années durant lesquelles Maixent Accrombessi a occupé les fonctions de directeur de cabinet à la présidence du Gabon ont été des années perdues pour le Gabon. L’intérêt des populations a été pris en otage par les intérêts particuliers. Le niveau de corruption, déjà élevé, a atteint des sommets », déplore l’un des principaux responsables de l’opposition gabonaise. Dans son livre « Nouvelles affaires africaines. Mensonges et pillages au Gabon » (paru en 2014 aux éditions Fayard), Pierre Péan rapporte, p. 205, le propos suivant : « Maixent contrôle tout et bouffe tout […] Et c’est ainsi qu’aujourd’hui, il n’y a plus d’argent dans les caisses ». Mais l’intéressé n’en a cure. Surtout à l’époque. Il est au sommet de sa puissance et seul compte pour lui sa relation avec « Ali » vis-à-vis duquel il se pique en privé d’exercer une emprise totale.

Agent immobilier et comptable

Pour asseoir son pouvoir sur tout un pays, Maixent Accrombessi, va placer des hommes-liges, ses obligés, à des postes clés. Parmi eux, Jean-Fidèle Otandault. Les deux hommes se connaissent depuis l’enfance qu’ils passent en partie au Bénin. Leurs pères respectifs se fréquentent et s’apprécient. Dès lors, ces deux jeunes ambitieux ne se quittent plus. Ils se côtoient assidûment, notamment à Paris où ils poursuivent leurs études et travaillent tous deux un temps. Il faut dire qu’entre l’agent immobilier Accrombessi et le comptable Otandault, on se comprend. Les deux hommes parlent le même langage, celui des chiffres. Leurs relations de grande proximité sont fondées sur l’amitié et, de plus en plus, sur l’intérêt. Grâce à « Maixent » qui a fait son trou à Libreville, « Jean-Fidèle » ne va pas tarder à grimper l’échelle des responsabilités et du pouvoir. Nommé Directeur général du Contrôle financier, l’homme devient Directeur général du Budget et des Finances publiques (DGBFIP), un poste hautement stratégique compte tenu des flux d’argent qu’il y voit passer.

Car pour faciliter la gestion de ces flux et faire en sorte qu’une partie échappe au Trésor Public gabonais, Accrombessi et Otandault conçoivent un dispositif à leur main. Une super direction du Budget est créée qui regroupe quatre anciennes directions générales, dont la Direction générale du Budget, la Direction générale des Marchés publics, la Direction de l’Exécution budgétaire et la Direction générale du contrôle financier. Un mécano institutionnel qui permet au duo d’amis d’enfance de contrôler la totalité de la chaîne budgétaire depuis l’inscription et l’élaboration du budget jusqu’à son exécution, en passant par le contrôle financier et l’attribution des marchés publics.

« Machine » omnipotente

L’intérêt de ce dispositif est manifeste : c’est le même organe qui valide la candidature d’une entreprise à un marché public – après que celle-ci ait été invitée à surfacturer ses prestations –, qui valide son attribution, ordonne le paiement et procède à son exécution via les services du Trésor. Pas de double visa ou même de double regard; aucun contre-pouvoir. La super direction, qui est à la fois ordonnateur et comptable, décide de tout. Une fois le parcours réalisé, l’entreprise bénéficiaire du marché public est invitée à reverser la part de montant surfacturé, soit en cash soit par virement sur un compte à l’étranger. Adopté en 2014, le nouveau dispositif entre en vigueur aussitôt. S’ouvre alors une période de vaches grasses pour Accrombessi et ses proches, dont Jean-Fidèle Otandault, considéré comme le pilier de son système.

Mais la belle mécanique ne va pas tarder à s’enrayer. En août 2016, Maixent Accrombessi est victime d’un AVC. Il est mis hors-jeu. Toutefois, le système qu’il a mis en place perdure. Car entretemps, Jean-Fidèle Otandault est devenu ministre du Budget, tout en assurant l’intérim à la tête de la « DGBFIP », ce qui lui permet de continuer à faire fonctionner le système. En outre, depuis le départ de Maixent Accrombessi de Libreville, parti se faire soigner à l’étranger, c’est le colonel Arsène Emvahou, principal aide de camp du président Ali Bongo, qui l’a remplacé de facto au poste de directeur de cabinet. Ce dernier, loin de remettre en cause le système, se fera fort de le conforter. Mais pour quelques mois seulement. Car pour ce beau monde, la fête ne tardera pas à se terminer.

Le 25 août 2017, la cata ! Par décret en conseil des ministres, Brice Laccruche Alihanga est officiellement nommé directeur de cabinet du président du Gabon. A ce titre, il devient le principal collaborateur d’Ali Bongo. Jeune – il a 38 ans – et proche de la population, l’homme est mû par des intentions différentes de celles de ses prédécesseurs. Il a également la conviction que l’époque a changé et que les pratiques, y compris dans l’entourage du président, doivent également évoluer.

Mécanisme enrayé

« BLA », comme le surnomment ses proches, souhaite aller vite, à tous les niveaux. Il décide donc aussitôt de couper court au système mis en place à l’époque au sein des directions budgétaires et financières de l’Etat. La méthode est à la fois rapide et radicale. Par décret en conseil des ministres du 28 septembre 2017, Fabrice Andjoua Bongo Ondimba, le jeune frère du président, réputé pour sa connaissance des rouages au ministère du budget où il évolue depuis longtemps en tant que Directeur adjoint du Budget, est nommé à la tête de la DGBFIP. Les rouages sont cassés; le dispositif du duo Accrombessi-Otandault a vécu.

Pour autant, le tandem ne rend pas les armes. L’enjeu – financier et d’influence – est trop important pour ne pas livrer bataille. Et l’idée d’être ainsi écartés du pouvoir et de la mangeoire leur est insupportable, en particulier pour Accrombessi qui s’accroche au Gabon comme une moule à son rocher. Requinqué sur le plan de la santé, l’ancien « dir cab » est de retour à Libreville depuis juin 2017 (photo). Après s’être fait attribuer un titre officiel – celui de « Haut Représentant Personnel du Président » –, il récupère un bureau à la présidence. Un retour diversement apprécié alors qu’Accrombessi est mis en examen depuis décembre 2017 par la justice française pour « corruption passive d’agent public étranger, blanchiment en bande organisée de corruption passive et faux et usage de faux » dans le dossier Marck (le Parquet de Paris soupçonne M. Accrombessi d’avoir perçu de l’argent en échange de l’attribution, fin 2005, par le Gabon, d’un marché public de 7 millions d’euros au groupe Marck, une entreprise française spécialisée dans la fabrication d’uniformes militaires) et que plusieurs de ses proches au gouvernement, les anciens ministres Magloire Ngambia et Étienne Dieudonné Ngoubou, ont été pris dans les filets de l’opération anticorruption « Mamba ».

Mais l’homme a du culot et du bagout. Suffisamment en tout cas pour trouver les arguments pour rebondir et repartir à l’offensive. Avec Otandault, il guette le moindre faux pas du nouveau « DC ». Mais celui-ci tarde à venir. Or, le duo entend bien récupérer, et vite, fut-ce une partie au moins de ses anciennes prérogatives. C’est dans ce contexte que jaillit l’idée de cette rumeur à diffuser selon laquelle le FMI menacerait de retirer le soutien qu’il a accordé au Gabon au motif de la mise en place du Club de Libreville. Un mécanisme justement façonné et piloté par… Brice Laccruche Alihanga. Dans l’esprit de ses instigateurs, cette fake news doit permettre de faire prendre conscience à l’opinion – et, par contrecoup, au Président Bongo – des limites de son nouveau directeur de cabinet (pourtant, ex-senior manager et commissaire aux comptes au sein du cabinet PriceWaterhouseCoopers) dans la gestion des dossiers financiers. Un constat qui devrait inciter le chef de l’Etat à réattribuer au ministère du Budget certaines des prérogatives perdues il y a quelques mois à la faveur du renouvellement d’équipe au sein de la présidence gabonaise.

Le Gabon retombera-t-il dans les affres du passé ? Ceux qui ont profité du système l’espèrent toujours manifestement. « C’est une question d’influence mais aussi d’intérêts financiers, l’un allant avec l’autre », glisse un ex-ministre devenu depuis un farouche opposant au président Ali Bongo. A juste titre car les sommes en jeu sont impressionnantes. Dans un article paru le 16 mars 2018, « Les Echos du Nord », un journal gabonais d’opposition, a évalué à 7.000 000 000 000 (sept mille milliards) de FCFA le montant d’argent public qui aurait été détourné du budget de l’Etat entre 2009 et 2016. Sept années durant lesquelles Maixent Accrombessi fut le tout puissant directeur de cabinet d’Ali Bongo Ondimba…

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