Par Marie-France Cros
Le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le Premier ministre éthiopien Haile Mariam Dessalegn ont insisté jeudi lors d’une rencontre au Caire sur leur volonté d’éviter un « conflit » autour de l’épineux dossier du barrage éthiopien Grand Renaissance sur le Nil.
Quelques mois après son arrivée au pouvoir, en 2014, le président al-Sissi avait indiqué qu’il ne « permettrait jamais que le Nil, don de Dieu, soit source de conflit entre frères africains ». Une prise de position bien accueillie à Addis Abeba, après les menaces de guerre proférées par l’Egypte sous le président islamiste Morsi et son prédecesseur Moubarak. Mais, un peu plus de trois ans plus tard, la situation a peu évolué.
Position léonine
Longtemps, Le Caire a tablé sur l’inertie pour empêcher toute modification de la position léonine que lui avait accordée le protectorat britannique en octroyant à l’Egypte la jouissance de la majeure partie des eaux du Nil (environ les deux tiers, tandis que 20% étaient garantis au Soudan), ainsi qu’un droit de veto à tout projet de barrage en amont. Pire: elle a rarement regardé vers le sud; elle était, jusqu’en 1998, le seul pays de l’Organisation de l’Unité africaine (aujourd’hui Union africaine) à ne faire partie d’aucun bloc régional.
Or, c’est le Nil bleu d’Ethiopie qui fournit 83% des eaux du fleuve dieu, avant de se jeter à Khartoum (Soudan) dans le Nil Blanc pour former le Nil. L’Ethiopie n’a jamais reconnu les accords léonins de 1929 et 1959 et la majeure partie des pays riverains en amont ont fini par passer outre l’inertie égyptienne: un traité sur le partage des eaux du Nil est ouvert à la ratification depuis 2011, en vue d’en confier la gestion à une commission conjointe pour « l’utilisation équitable et raisonnable des eaux ».
Permettre le développement de l’Ethiopie
En 2013, Addis Abeba a entamé la construction de son barrage Grand Renaissance, d’un coût estimé de 4 milliards d’euros, partiellement financé par la population éthiopienne. Sa capacité attendue de 6000 MW est seule à même de permettre à l’Ethiopie de disposer de l’énergie suffisante pour sortir du sous-développement sa population, aussi nombreuse que celle de l’Egypte.
Addis a multiplié les efforts pour convaincre Le Caire que l’Egypte ne serait pas lésée par le barrage et pourrait lui acheter de l’électricité: l’eau ne sera pas arrêtée mais utilisée pour faire tourner les turbines; le lac de barrage sera rempli en 6 à 7 ans, afin de ne pas faire baisser le niveau du Nil. Mais l’Egypte, qui n’a rien fait pour répondre à l’accroissement de sa population, ni pour diversifier ses sources (90% provient du Nil) et manque déjà d’eau, préfère se contenter de dire – comme dans un discours de novembre dernier du président al-Sissi – que « personne ne peut toucher à l’eau de l’Egypte ».
Acceptés puis récusés?
En mars 2015, Le Caire avait accepté de s’en remettre à des cabinets d’experts français, Artelia et BRL, qui ont remis en mai dernier leurs conclusions sur les impacts sociaux et environnementaux du Grand Renaissance sur le Soudan et l’Egypte. Mais, alors que celui-ci n’a pas encore été rendu public, Le Caire et Addis Abeba ne s’entendent pas sur ses conclusions – dont on assure, côté éthiopien, qu’elles estiment minimes les effets sur les deux pays voisins. Aujourd’hui, Le Caire veut que la Banque Mondiale participe aux discussions – afin de politiser la question, craint-on côté éthiopien sans rejeter officiellement, toutefois, cette proposition.
En cours de route, le Soudan semble de moins en moins impliqué. En septembre 2014, le ministre soudanais de l’Eau, Moatez Moussa, avait estimé que le Grand Renaissance allait bénéficier à son pays et à l’Egypte. L’existence d’un autre barrage éthiopien, Tekeze, qui avait soulevé les mêmes craintes, a permis une régulation du cours du Nil au Soudan.