Le porte-parole du gouvernement de la République démocratique du Congo (RDC), Lambert Mende, a déclaré jeudi lors d’un point de presse que Kinshasa n’était ni responsable ni complice de l’assassinat, le 12 mars dernier, de deux experts de l’Onu qui enquêtaient sur les massacres au Kasaï depuis la mi-2016. Il répondait ainsi à une publication de Reuters et RFI.
Selon Lambert Mende, « la campagne médiatique menée à partir d’une enquête des journalistes de RFI et Reuters tente, par des amalgames maladroitement agencés, de rendre le gouvernement congolais responsable ou complice de l’assassinat des deux experts onusiens au Kasaï central ». Le ministre congolais a mis en cause la journaliste de RFI, Sonia Rolley, pour quatre contacts téléphoniques entre celle-ci et le principal accusé retenu par la justice militaire congolaise, le chef milicien Vincent Kabasele Manga, contacts dont « elle ne parle nulle part dans son enquête » et qu’il invite notre consoeur à « dévoiler ».
Enquête de presse gênante pour Kinshasa
L’enquête de nos confrères est gênante pour Kinshasa, puisqu’elle évoque en détail ce que révèlent les « fadettes » (relevés des appels téléphoniques et sms émis et reçus) liées au double meurtre de mars. L’existence de celles-ci avait été annoncée le 26 juillet 2017 par l’auditeur militaire au procès de 26 membres présumés de la milice rebelle Kamwina Nsapu, que Kinshasa accuse d’être responsables de la mort de la Chilo-Suédoise Zaida Catalan et de l’Américain Michael Sharp; l’officier avait ajouté être « porté à croire que l’exécution des experts ne pouvait pas être décidée par une simple milice ».
Les 26 accusés nient avoir participé au double meurtre et certains affirment avoir été torturés. Mais le scénario retenu par le procès est celui d’un coup de malchance: les deux experts s’étant trouvés au mauvais endroit au mauvais moment, ils auraient été dépouillés et tués par des miliciens.
Traduction volontairement faussée
RFI avait déjà indiqué en septembre (https://afrique.lalibre.be/8559/les-experts-de-lonu-tues-en-rdc-induits-en-erreur-par-une-fausse-traduction-rfi/) que les deux experts avaient été attirés dans un piège. Notamment parce que leur traducteur Betu Tshindela et son cousin Tshibuabua, alors informateur de l’Agence nationale de renseignement (et aujourd’hui inspecteur adjoint à la Direction générale des Migrations, arrêté en novembre et mis au secret), avaient traduit l’opposé de ce que disait un féticheur des Kamwina Nsapu que les onusiens interrogeaient pour savoir s’ils pouvaient enquêter dans la région de Bukonde: le féticheur avait déconseillé le voyage pour des raisons de sécurité et le traducteur avait assuré aux deux onusiens que le « Vieux », au contraire, garantissait leur sécurité.
Selon la nouvelle enquête de RFI et Reuters, le contenu des fadettes montre que des agents de l’Etat ont participé à l’organisation de la mission des deux experts. Et, alors que le gouvernement a affirmé à plusieurs reprises n’avoir jamais été prévenu de la présence des deux onusiens dans la région, les relevés téléphoniques les montrent en contact avec des personnalités provinciales et nationales, dont le président de l’assemblée provinciale du Kasaï-central, Augustin Kamuitu, et le colonel Augustin Mamba, des renseignements militaires. Cela soulève le soupçon que la mission des deux Occidentaux a été transformée en piège, dans un contexte où l’Etat ne tenait pas à ce que soit révélée l’ampleur des massacres auxquels l’armée se livrait au Kasaï pour réprimer la rébellion Kamwina Nsapu (https://afrique.lalibre.be/12455/rdc-massacres-au-kasai-crimes-contre-lhumanite-pour-un-chaos-organise/).
Le colonel tenu informé par le traducteur
L’analyse des fadettes indique aussi qu’après chaque conversation des deux experts avec leur interprète Betu Tshindela – qui aurait également travaillé pour l’ANR dans le passé – celui-ci appelait le colonel Jean de Dieu Mambweni, chef des opérations militaires dans la région. C’est ce coàlonel qui avait introduit Betu auprès des deux Occidentaux. Le colonel Mambweni dit ne se souvenir de rien.
On note en outre que le téléphone de Betu, dont le gouvernement dit qu’il a été tué en même temps que les experts mais dont le corps n’a pas été retrouvé, a passé deux appels, le lendemain du meurtre, dont l’un à un autre colonel de l’armée congolaise, Cris Tambwé, qui dit aussi ne se souvenir de rien. Tshibuabua, lui – qui a fourni motos-taxis et chauffeurs (disparus) aux experts – a été en contact régulier avec le chef provincial de l’ANR avant et pendant la journée du 12 mars, ainsi qu’avec son cousin interprète, Betu Tshindela.
Remarquable aussi: deux mois après le meurtre, notent nos confrères, il y a soudain une série de contacts entre le téléphone de la victime américaine, Michael Sharp, et le numéro de son présumé assassin, Vincent Manga, chef milicien de Kamwina Nsapu.
MFC