Trente ans après l’assassinat de Sankara, Julie Jaroszewski sonde le quotidien des Burkinabès secoués, depuis sa mort en octobre 1987, par une autre révolution d’octobre, celle de 2014, qui a poussé son successeur, Blaise Compaoré, à l’exil. La réalisatrice met en relation les deux événements.
Un film à voir les 17, 18, 19 et 25 novembre en Belgique avant qu’il ne mette le cap sur le Bénin et le Cameroun.
Ceci n’est pas un portrait du capitaine Noël Isidore Thomas Sankara, l’homme qui, en quatre années seulement, marqua à jamais le destin de son pays, le Burkina Faso. Et les esprits de tous ceux qui rêvaient d’un panafricanisme porteur de progrès sociaux.
Né le 21 décembre 1949 à Yako en Haute-Volta et inspiré par la révolution du Malgache Didier Ratsiraka, découverte pendant son passage à l’académie militaire de Madagascar, Sankara fit son apprentissage politique au Maroc. Déterminé et visionnaire, il initia le 4 août 1983 en Haute-Volta, la Révolution sankariste, directement inspirée par celle de Cuba.
Devenu Président à 34 ans (!), communicant hors pair, il fit du patriotisme économique et de l’autosuffisance les deux piliers du redressement de sa nation, rebaptisée Burkina Faso soit le « Pays des hommes intègres ». Campagne nationale de vaccination infantile, millions d’arbres plantés pour lutter contre la désertification et austérité économique furent quelques-unes des premières mesures instaurées. Mais son mode d’administration autoritaire ne manqua pas de provoquer quelques grincements de dents et levées de bouclier parmi les fonctionnaires et les syndicats ainsi qu’au sein d’une partie de la bourgeoisie et des intellectuels burkinabès.
Sa politique d’exemplarité et de responsabilisation à tous les échelons va pourtant avoir des effets bénéfiques et entraîner un développement saisissant du Burkina en à peine 4 ans. Redressement salué d’ailleurs par la Banque mondiale. Si l’on ajoute à cela un propos et une politique réellement féministes (partage du pouvoir au travail et dans les foyers, lutte contre l’excision), on obtient le portrait d’un dirigeant volontariste qui a marqué les mémoires.

Deuxième révolution d’octobre
C’est cet héritage qu’interroge le film «Qui es-tu Octobre ?» de Julie Jaroszewski. Un film volontiers contemplatif qui s’immisce dans le quotidien d’une famille pauvre de Ouaga et s’empare par touches successives de son sujet. «Qui es-tu Octobre ?» tisse un parallèle entre deux dates, deux crises : celle provoquée le 15 octobre 1987 par l’assassinat de Sankara et la révolte menée par le peuple, les 30 et 31 octobre 2014, afin de forcer le départ du président Blaise Compaoré, ancien compagnon d’armes de Sankara qui s’empressa de liquider son héritage.
Objet hybride, entre documentaire et fiction, la narration organise la transmission des témoignages tandis que la caméra filme l’impact de ce nouveau séisme politique sur le quotidien des familles les plus humbles. Exhumation du corps de l’ancien président (mai 2015), putsch du général Diendere (septembre 2015), nomination de Roch Marc Kabore au poste de président (novembre 2015) : les événements se succèdent sans clarifier la situation du plus grand nombre. Entre extraits des discours marquants du «regretté président» et flashs d’info actuels sur une situation politique en pleine ébullition, le Burkina livre ses soucis et ses espoirs.
Question d’héritage et de générations
Dans cette famille recomposée autour de la grand-mère (photo ci-dessous), le jeune Mika se souvient de son père qui faisait partie des comités de défense de la Révolution à l’époque de Sankara. A la mort du président, son père a fui en Côte d’Ivoire où il est tombé malade avant de revenir au Burkina. «Seule la lutte libère» disait Sankara. Mika sait déjà qu’il n’aura donc pas le choix, mais en aura-t-il la détermination et la force ?
Tandis que la France refuse l’ouverture d’une enquête internationale sur son rôle dans l’assassinat du Président du Burkina (demande faite, en juin 2015, par la veuve de Sankara) résonne son célèbre discours sur la dette «supposée» des pays africains. Discours prononcé en juillet 1987, à Addis-Abeba, trois mois avant son assassinat…
Karin Tshidimba
Infos pratiques
« Qui es-tu Octobre ? » sera projeté à l’Espace Senghor le 17 novembre à 18h30. Le film sera suivi d’un débat avec le sociologue Said Bouamama (auteur du livre « Figures de la révolution africaine ») et d’une « after musicale » concoctée par le Collectif Sankara Legacy.
Le film sera également visible le 18/11 au Centre culturel d’Eghezée toujours dans le cadre du Week-end du doc, le 19/11 à 14h30 au Botanique (Bruxelles) dans le cadre du Festival de cinéma d’Attac, suivi d’un débat « Le mystère Sankara » avec sa réalisatrice Julie Jaroszewski et Kalvin Soiresse Njall du Collectif « Mémoire coloniale et Lutte contre les discriminations » et, enfin, le 25/11 à 17h au cinéma Aventure (Bruxelles) dans le cadre du festival « Filmer à tout prix ».
Soit quatre occasions pour le public belge de découvrir ce film qui a déjà beaucoup voyagé à l’étranger : sélection au sein de la compétition internationale du Festival Visions du réel à Nyon, projections à Bobo-Dioulasso et Ouagadougou (Bukina Faso), à Montpellier, Marseille, Arcueil et Paris, à Montréal, au Festicab du Burundi, etc. Et occasion, bien sûr, de rencontrer sa réalisatrice.
Ensuite, le film mettra le cap sur Cotonou (Bénin) où il sera montré le 24 novembre dans le cadre de BeninDocs / AfricaDocs, et plus tard en Argentine et au Cameroun.