Passant de la scène à l’écrit, la comédienne et chroniqueuse radio burkinabè Roukiata Ouedraogo retrace son histoire familiale et surtout le combat de sa maman pour se relever après une lourde injustice. Du miel sous les galettes vient de sortir en librairie. (vidéo)
Sur scène, déjà, la jeune Roukiata parlait de ce qu’elle connaissait : les classes bondées de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso, les rêves d’Europe, les craintes des parents face à un enfant qui veut devenir comédien; la froide réalité de l’arrivée en France et de la recherche d’un emploi, surtout lorsqu’on vient de loin et qu’on n’a pas le bon accent. Et aussi ces différences culturelles qui pimentent le quotidien mais qui piquent parfois les yeux et le coeur.
Pour parvenir à mettre du beurre de karité dans ses épinards et sortir des rôles ghetto (nounou, femme de ménage, infirmière) trop souvent proposés à celles qui partagent sa couleur de peau, Roukiata Ouedraogo a commencé par écrire ses propres spectacles, convoquant ses souvenirs d’enfance, puis de visites au marché ou au dolodrome (café), réveillant les sages paroles de son Oncle Théophraste ou de son neveu Ousseini, restés au Burkina Faso. C’est comme cela qu’elle est parvenue, de manière unique, à conjuguer humour et engagement : à faire rire et réfléchir en même temps, sur la situation des immigrés en France, notamment. Des spectacles où la parole se faisait, par moments, plus grave lorsqu’elle abordait des moments personnels, plus douloureux.
La parole du dernier né
A force d’endosser, sur scène, le rôle de griot (à la fois gardien de la parole et mémoire vivante), le besoin de transmettre son histoire familiale est devenu plus fort, plus pressant. Roukiata Ouedraogo vient donc de publier son premier roman, en grande partie autobiographique, aux éditions Slatkine & co. Un sacré tour de force puisque le narrateur y est âgé de neuf mois à peine lorsqu’il entame le récit de l’événement qui a bouleversé la vie de ses parents et, par conséquent, la sienne et celle de ses sept frères et sœurs.
Du miel sous les galettes est le récit d’une injustice. Une injustice comme on peut en croiser en Afrique mais aussi en de nombreux points du globe où la démocratie est avant tout de façade et pas tellement appliquée au quotidien par des petits chefs en mal de pouvoir. Une affaire qui a fait peser sur les épaules de la mère de Roukiata un poids démesuré durant plusieurs années et qui a façonné le destin de tous les siens.
Avec ce roman, Roukiata Ouedraogo rend un vibrant hommage à celle qui n’a jamais baissé les bras et qui lui a sans doute insufflé l’envie et le courage de se battre pour devenir celle qu’elle est aujourd’hui: une artiste capable de braver la solitude, le froid et les insultes, parfois. Une femme forgeant son destin en donnant son point de vue sur les ondes de France Inter, dans l’émission Par Jupiter, et en invitant les spectateurs à rire et à réfléchir avec elle à nos parcours d’être humains. Qu’on soit né à Paris, à Bruxelles, à Ouagadougou ou à Fada N’Gourma.
Dans son roman, le ton est à la fois tendre et modeste, comme celui d’un enfant. Le lecteur vit cette histoire au plus près des émotions de la maman car l’histoire démarre au moment où la fusion entre la petite fille et sa mère était totale. Le bébé, collé sur le dos de Djelila, vivant au rythme des battements de son coeur et de ses mouvements incessants pour maintenir sa famille à flots. Si on sourit parfois, si le récit a des allures de conte cruel, il n’y a ici ni fée, ni princesse et les seuls dragons que l’on croise sont ceux d’une administration aveugle, cruelle et sourde face à la détresse humaine.
Une histoire si souvent entendue et si présente dans sa mémoire qu’il a suffi d’une simple crêpe pour la faire remonter à la surface. Roukiata Ouedraogo la rend vivante et proche par le truchement d’une plume légère et alerte, devenant ainsi le porte-voix de tant de femmes et de mères courageuses et résolues à travers le monde.
Le roman vient d’ailleurs de se voir décerner, le 22 septembre, le prix littéraire de la Presse Panafricaine 2020.
Karin Tshidimba
Du miel sous les galettes, Roukiata Ouedraogo, Ed. Slatkine & cie, 270 pp., env. 17€.